(Québec) Gaétan Boucher a déjà raconté à Laurent Dubreuil comment les Soviétiques l’observaient parfois avec admiration. À l’aune du labeur qu’ils mettaient à l’entraînement, ils ne pouvaient que respecter ce rival canadien qui réussissait à les vaincre.

Déjà l’an dernier, Dubreuil faisait l’éloge de Stolz, le comparant à un Eric Heiden des temps modernes. Le natif du Wisconsin, comme le légendaire Heiden, venait de devenir le plus jeune vainqueur masculin d’une épreuve de Coupe du monde. À 18 ans, il avait devancé son plus proche poursuivant, le plus bel espoir canadien Connor Howe, de presque quatre ans son aîné, de 1,76 s sur 1500 m, un gouffre.

Dubreuil ne s’en cache pas, il voue la même admiration au patineur américain Jordan Stolz, qu’il affrontera deux fois sur 500 m à la Coupe du monde de patinage de vitesse longue piste de Québec, de vendredi à dimanche.

À Calgary, en décembre 2022, Stolz a continué sa lancée, montant sur le podium à trois reprises et réalisant un record mondial junior et américain pour remporter l’argent au 500 m, tout juste devant Dubreuil.

Ce n’était qu’un prélude à une saison extraordinaire. Aux Mondiaux juniors, il a ravi six médailles, dont quatre d’or, et la tête du classement général. Moins d’un mois plus tard, il a gagné l’or aux 500, 1000 et 1500 m des Championnats du monde par distance, devenant le plus jeune monarque de l’histoire et premier homme à rafler trois titres durant les mêmes Mondiaux. Décoiffant.

Au 500 m, il avait battu Dubreuil, le tenant du titre, par 36 centièmes, un autre écart énorme.

« Un peu comme Gaétan, je sais les efforts et la préparation que j’y mets, et le nombre d’années aussi, a raconté Dubreuil au sortir de son entraînement, jeudi midi. Je sais à quel point ce n’est pas facile de rester au sommet. Est-il meilleur que moi au 500 mètres ? Ça se discute, mais c’est la seule course où je suis compétitif, alors que lui… »

PHOTO CHRISTOPHER CREVELING, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Laurent Dubreuil

Quand il y en a un meilleur que moi à ce point-là, oui, j’ai de l’admiration, parce que je ne serais pas capable de faire ça. Du tout, du tout, du tout. Quand tu sais ce que ça prend, c’est doublement impressionnant.

Laurent Dubreuil, à propos de Jordan Stolz

Depuis au moins deux ans, l’athlète de Lévis analyse la technique de Stolz sur vidéo, sans parvenir à reproduire ce qu’il observe sur son écran. Ce qui l’épate le plus ?

« Son virage, a répondu le gagnant de 35 médailles sur le circuit. C’est le meilleur virage au monde, le meilleur que j’ai vu de ma vie. Depuis des années, je me fais dire que j’ai l’un des meilleurs virages au monde. Pourtant, quand je le regarde faire, j’ai l’impression qu’il fait un sport différent ! »

Dubreuil note comment l’Américain de 19 ans réussit à planter la lame de son patin gauche dans la glace quand il effectue un croisement, comme si celle-ci était appuyée sur un bloc de départ d’athlétisme.

« Nous, jusqu’à un certain point, on subit le virage quand on arrive dedans à 60 km/h. […] Lui, la puissance est directement dans la glace. Tu peux devenir plus fort, mais en patin, si tu n’es pas capable de transposer cette force dans la glace, ça ne changera rien. On dirait qu’il rentabilise chaque parcelle d’énergie que son corps peut lui fournir. Et son corps lui en fournit plus que n’importe qui sur la planète ! C’est comme la combinaison parfaite du physique et de la technique. »

« Comme en caoutchouc »

Quelques minutes plus tôt, Gregor Jelonek, l’entraîneur de Dubreuil, offrait un éclairage similaire sur le phénomène Stolz, décrivant avec déférence la fluidité de son coup de patin, qui lui procure « une propulsion parfaite ».

« On dirait qu’il est comme en caoutchouc, a exposé le coach en mimant le mouvement. Il épouse bien la glace. Il y a un beau mariage entre la force de sa poussée et la glisse. Il n’y a pas beaucoup de patineurs capables de faire ça. »

Cette aptitude lui permet de ne « jamais casser » sur une plus longue distance, comme le 1500 m, s’émerveille Jelonek, qui n’hésite pas lui non plus à décrire Stolz comme l’« Eric Heiden de notre temps », en faisant allusion au quintuple médaillé d’or des Jeux olympiques de Lake Placid, en 1980.

PHOTO HARRY HOW, ARCHIVES INTERNATIONAL SKATING UNION

Jordan Stolz après son record du monde au 1000 m à Salt Lake City, la semaine dernière

À Salt Lake City, la semaine dernière, Jordan Stolz a accroché quatre médailles d’or individuelles à son cou (500 m, 2 X 1000 m, 1500 m) en plus de faire tomber le record mondial du 1000 m par plus de trois dixièmes. Pour couronner son week-end, il s’est aligné sur 5000 m (15e), une façon de se préparer pour les Championnats du monde toutes distances, l’un de ses principaux objectifs cette saison. Il songe même à participer aux Mondiaux sprint, qui s’enchaînent dans un intervalle de quatre jours !

« Comme tous les grands athlètes, il ne se met pas de limites, a observé Jelonek. En plus, il est jeune. Il n’est pas en train de se protéger en disant : “Je ne ferai pas cette course-là pour me préserver.” Lui, il y va et se pose des questions après. Il regarde le temps et voit ce que ça donne. C’est un peu la même chose pour Laurent. Ce sont des gars qui donnent toujours leur maximum à chaque course. »

En Utah, Dubreuil a comparé le fait de rivaliser avec Stolz à « jouer au golf avec Tiger Woods », une expérience qu’il pourra raconter à ses enfants dans ses vieux jours. Le parallèle a fait rougir le principal intéressé.

« Je suis devenu plus fort »

Jeudi, le hasard a voulu que Stolz se pointe dans la zone mixte tandis que son rival canadien se faisait poser des questions à son sujet par La Presse. Dubreuil est passé à l’anglais pour traiter son adversaire de « trou de c… », une vanne que l’Américain savait feinte, bien sûr.

Accompagné de son entraîneur Bob Corby, 73 ans et ancien mentor de Dan Jansen et Bonnie Blair, Stolz a débité ses réponses aussi rapidement qu’il patine.

Impressionné par l’anneau Gaétan-Boucher, qu’il trouve « magnifique » et « plus joli » que ceux qu’il a déjà visités, il se délecte à l’idée de se mesurer à Dubreuil sur deux 500 m, en plus de s’aligner sur 1000 m et 1500 m.

« Ce sera une bonne compétition, a prédit le blondinet d’un peu plus de six pieds. Toute la foule va l’encourager ; ce sera moi contre le Québec ! »

Stolz pourra néanmoins compter sur la présence de ses parents, dont son père Dirk, un policier qui a aménagé une patinoire sur un étang dans leur cour arrière à Kewaskun, un village situé à 45 minutes au nord de Milwaukee. Jordan y a appris à patiner à l’âge de 5 ans, après avoir suivi les compétitions aux Jeux de Vancouver en 2010. Son compatriote Apolo Anton Ohno, fantasque triple médaillé en courte piste, l’avait particulièrement marqué.

Stolz a pratiqué le courte-piste jusqu’au début de l’adolescence, avant de se consacrer entièrement au longue-piste. Quelques années plus tard, il s’est qualifié pour les Jeux de Pékin à l’âge de 17 ans.

« J’ai toujours bien senti la glace, mais je suis devenu plus fort, a-t-il noté. J’ai commencé à me renforcer en travaillant avec Bob, il y a quatre ans. J’ai fait beaucoup plus de musculation et de vélo. Je suis devenu vraiment fort et j’ai gardé mon feeling de la glace. »

Ce n’est pas Laurent Dubreuil qui va le contredire.

Se partager le fromage avec les  Néerlandais

Grâce à ses succès de l’an dernier, Stolz a signé un contrat de trois ans avec une équipe professionnelle néerlandaise, Team Albert Heijn Zaanlander, nom d’un fromage gouda exclusif à une grande chaîne d’épiceries. Commerciale avant tout, cette entente lui donne aussi accès à des camps avec ses coéquipiers néerlandais, comme ce stage de vélo qu’il a effectué dans les Alpes italiennes, l’automne dernier. Aime-t-il le fromage, au moins ? « Le fromage, c’est bon », a-t-il répondu avec la désinvolture d’un adolescent, faisant éclater de rire son coach Bob.

Le groupe B pour Dubreuil

Ralenti par une tendinite à un genou avant le début de la saison, Dubreuil n’a pas été en mesure de retrouver sa compétitivité sur 1000 m. Le médaillé d’argent olympique sur la distance s’est donc promené entre les groupes A et B durant la saison. À Québec, il s’élancera dans le groupe B ce vendredi. Sa participation à cette épreuve est seulement motivée par le processus de qualification nationale pour les Championnats du monde par distances individuelles de Calgary, du 15 au 18 février. Et encore, il y accorde peu d’importance. « Si je ne me classe pas, à la limite, je m’en fous, je n’ai pas de chance de médaille », a tranché Dubreuil. Le 1000 m a cependant une importance capitale pour les Mondiaux sprint d’Inzell, en mars, où il calcule figurer parmi les cinq meilleurs au cumulatif 500/1000 m à l’heure actuelle.