Même après ce qui s'est arrivé à leur frère Marc mardi soir, qui a été atteint à l'oeil droit par une rondelle dans un match opposant les Rangers de New York aux Flyers de Philadelphie, Eric et Jordan Staal demeurent réticents à l'idée de porter la visière.

«Les joueurs sont parfois têtus et je suis l'un d'eux, a admis Jordan. C'est sûr que ce genre d'incident nous y fait penser à deux fois. Il y aura peut-être un moment où je déciderai de porter la visière mais pour l'instant, je ne me sentirais pas confortable. »

Eric Staal, qui a pourtant joué avec une visière aux Jeux olympiques et qui reconnaît que son jeu n'en avait pas souffert, tergiverse lui aussi.

«Je sais que ce serait la chose intelligente à faire et je sais à quel point le jeu est rendu rapide et que des incidents peuvent se produire en une fraction de seconde, a convenu le capitaine des Hurricanes. Ajouter une protection supplémentaire serait la chose à faire.

«Mais je suis tellement habitué à jouer sans visière, a-t-il laissé tomber. Si ça m'était imposé, je n'aurais pas de problème à la porter, je jouerais comme d'habitude, mais j'ai le choix et j'opte pour ce avec quoi je me sens le plus à l'aise.»

L'entraîneur-chef des Hurricanes Kirk Muller hoche la tête par dépit quand on lui rappelle que ses deux vedettes tiennent à jouer sans visière. L'ancien du Canadien, qui a joué à une époque où les joueurs grandissaient sans en porter, estime que les temps ont changé et que la vitesse du jeu incite à passer à l'action.

«Peut-être en sommes-nous arrivés au point où il faudrait penser à rendre la visière obligatoire afin de protéger la partie du corps la plus vitale pour un joueur de hockey, soit ses yeux.»

Une question d'orgueil

Chez le Canadien, cinq joueurs ne portent toujours pas la visière. Il s'agit de Brandon Prust, Travis Moen, Ryan White, Colby Armstrong et Tomas Kaberle. Outre le défenseur tchèque, les quatre autres se distinguent par un certain type de jeu.

«J'ai parlé aux gars de l'équipe qui ne portent pas de visière parce qu'ils pratiquent un style robuste, a dit Josh Gorges. Si ça devenait obligatoire et que tout le monde en portait une, personne ne ferait l'objet de moqueries. Ça les sortirait d'embarras alors qu'ils doivent projeter une certaine image.»

Sans nécessairement prôner cette façon de voir, Brandon Prust parle comme quelqu'un qui est pris dans un engrenage et dans un jeu de perceptions ancré profondément chez les joueurs.

«C'est une question d'orgueil, explique Prust. Les durs ne sont pas censés porter de visière et on n'a pas l'air de l'être si l'on en porte une.

«Il y a aussi une loi non-écrite parmi les joueurs qui se battent qu'il ne faut pas porter de visière. Personnellement, j'aime ne pas avoir à en porter une, mais si ça devenait obligatoire, je n'en ferais pas tout un plat. On protège tout le reste du corps, après tout. Et les yeux sont peut-être ce qu'on a de plus important.»

Une clause grand-père?

Un vétéran comme Travis Moen, qui a pourtant failli perdre l'oeil gauche il y a trois ans après qu'une lame de patin eut ouvert son arcade sourcilière, est de ceux qui sont heureux de ne pas avoir à se faire imposer quoi que ce soit après tant d'années dans la ligue.

Mais à l'instar du casque protecteur, ne pourrait-on pas au moins en venir à une clause grand-père qui obligerait les nouveaux joueurs à porter la visière?

Josh Gorges croit que oui.

«Quand on voit ce qui s'est passé l'autre soir - et ça se produit plus souvent qu'avant  - nous atteignons le point où nous devons prendre des mesures», soutient le représentant syndical des joueurs du Tricolore.

Gorges lui-même ne portait pas la visière à son arrivée dans la LNH, mais il a vécu une frousse suffisante pour lui donner une leçon.

«À ma deuxième année à San Jose, j'ai frappé le côté de ma tête sur la bande lors d'une mise en échec anodine. Par la suite, la pupille de mon oeil s'est dilatée. Le médecin m'a ensuite dit que j'allais devoir porter une visière jusqu'à temps que ça se résorbe. J'ai protesté autant que j'ai pu, mais il m'a dit: c'est ça ou alors tu ne joues pas.

«Or, dès mon premier match avec ma visière, à la fin d'un avantage numérique, un adversaire a tenté un dégagement et j'ai reçu la rondelle sur ma visière. J'en ai gardé une cicatrice sur la joue. Si je n'avais pas eu de visière, je l'aurais reçu directement dans l'oeil. Je me suis dit "plus jamais".»

Vers une guérison complète

Après leur match de mardi, le vice-président des Hurricanes Ron Francis est allé voir les frères Staal pour les informer que Marc s'était blessé, mais qu'il ignorait toutefois la gravité de la blessure.

«On est restés sans nouvelles pendant quelque temps puisque le cellulaire de la femme de Marc était éteint, a raconté Jordan. Nous étions incapables de manger. On a finalement pu lui parler vers 23h30.»

Le défenseur des Rangers a exprimé à ses frères à quel point la douleur était intense. Sauf que lorsqu'ils lui ont reparlé mercredi matin,  ça allait déjà beaucoup mieux.

Puis, durant la journée de mercredi, les médecins des Rangers ont émis un communiqué indiquant qu'il serait en mesure d'effectuer une guérison complète.

«Nous ne nous sommes plus parlés depuis mercredi matin, mais le communiqué émis par les médecins est rassurant, a dit Eric. On ne sait pas encore jusqu'à quel point c'est sérieux car il y a trop d'enflure, mais les propos des spécialistes suggèrent que ça va dans la bonne direction.»

Il faut toutefois se rappeler qu'au cours des dix dernières années, des joueurs comme Al MacInnis, Bryan Berard et tout récemment Manny Malhotra ont été contraints à la retraite en raison de rondelles reçues dans l'oeil. Le même sort guette Chris Pronger, à en croire l'entrevue qu'il a accordée au réseau Sportsnet mercredi. Pronger, également aux prises avec des symptômes post-commotion cérébrale, admet avoir perdu sa vision périphérique.

Quant à Eric et Jordan Staal, qui affronteront les Rangers le 18 mars, ils devront vraisemblablement faire leur deuil d'un premier match auquel auraient pris part les trois frères Staal en même temps. Leur frère Marc sera absent pour une période encore indéterminée.