Dans la dernière décennie, il s’est fait une place de choix dans la culture populaire. On l’a vu sur des chandails, des affiches, des coupes de vin, sur tout ce qui se vend, en fait. Mais depuis peu, il s’efface lentement de certains lieux… Namasté serait-il en voie de disparition ?

Il l’est au Studio Mile End, en tout cas. J’ai remarqué que plusieurs professeures ont récemment cessé de dire « namasté », comme il était coutume de le faire à la fin des classes.

En toute transparence, j’ai toujours été gênée de répéter le mot, comme le font la majorité des élèves… J’ai l’impression de sonner faux. Je murmure donc n’importe quoi d’autre pour me mêler au groupe. (Je vous mettrais mal à l’aise si on se croisait en leggings.)

Pour moi, ça n’a jamais été clair : qu’est-ce que namasté veut réellement dire ? En yoga, il existe plusieurs variantes, mais plusieurs tournent autour de : « la lumière en moi reconnaît la lumière en toi ». En sanskrit, il s’agit aussi d’une simple salutation. Rien à voir avec les expressions populaires « Namastay in bed » ou « Namasté, sti ! » qui ont émergé dans les dernières années…

Cette récupération du mot a d’ailleurs été dénoncée.

Des médias principalement anglophones se sont demandé si on n’avait pas affaire à un cas d’appropriation culturelle ; une thèse qu’ont également crainte les copropriétaires du Studio Mile End.

« Je me suis questionnée : est-ce que je le dis juste parce qu’après un cours, les gens disent habituellement namasté ? », admet Ariane Paradis. « Le mot a été barouetté dans les dernières années et ce qu’on veut, c’est tout le contraire : c’est mettre en valeur la pratique du yoga et lui rendre hommage. On est très conscientes qu’on est des femmes blanches de Montréal… Je ne dis pas que je ne dirai plus jamais namasté, mais on a le souci de respecter autant que possible la pratique. »

Rachel Jacobs précise que ce n’est pas l’utilisation de termes sanskrits qui la perturbe, mais plutôt le fait que namasté est souvent énoncé sans mise en contexte. En le remplaçant par « merci », elle souhaite ne pas diluer davantage une pratique que la culture nord-américaine a déjà beaucoup dénaturée.

« Je trouve que namasté, c’est magnifique, lance pour sa part Geneviève Guérard. C’est juste que dans un contexte comme le nôtre, un bon merci est plus authentique pour moi. Ce qui ne changera jamais, après 12 ans d’enseignement, c’est le respect et l’amour que j’ai pour cette pratique. Ce qui va continuer à évoluer, c’est ma réflexion : est-ce que j’ai acquis des automatismes ? »

Si vous cherchiez toujours une résolution pour 2024, en voici une pas pire.

Fait important : personne n’a reproché au trio d’employer le mot namasté.

Cette réflexion est née d’une remise en question sincère et n’a abouti à aucune prise de position radicale. Pas la peine de lancer l’alarme woke ou de crier à l’emprunt de débats américains : on assiste ici à un processus empreint d’ouverture.

À la fin des cours offerts au Studio Mile End, plusieurs personnes disent encore « namasté », et Ariane Paradis trouve ça parfait. C’est devenu « un rituel pour eux », l’élan est on ne peut plus authentique. C’est ce qui compte.

D’ailleurs, selon la centaine de réponses générées par un sondage mené sur mes réseaux sociaux (d’aucune valeur scientifique), namasté est encore très largement employé dans les studios de yoga du Québec. Et parfois pour de bonnes raisons.

Pragasen Pillay enseigne le yoga depuis 2012 (en plus d’enseigner l’ingénierie à l’Université Concordia). Si on dit namasté dans le nord de l’Inde, dans le sud – d’où viennent ses ancêtres –, on emploie plutôt le mot vanakkam.

Pour lui, ces expressions signifient : « I bow down to the divinity in you that is also inside me » (traduction maison : je m’incline devant la divinité en toi qui réside également en moi).

Or, cette divinité n’a rien de sacré. Quand Pragasen Pillay dit « vanakkam » à ses élèves, au studio Meta 1111, il s’adresse « à la partie plus profonde [d’eux] qui est connectée à [leurs] lumière, vérité, gentillesse et compassion, toutes des qualités divines ».

C’est très beau, mais n’y a-t-il pas un chouïa d’appropriation culturelle lorsque des personnes qui n’ont rien d’indien et qui sont peu informées (moi) le prononcent aussi ? Pragasen Pillay me répond que oui, bien sûr.

Comme le mot karma, namasté a été dépouillé de son sens. Mais ce n’est pas si grave, selon lui. En disant le terme sans le comprendre, on passe simplement à côté de la chance de profiter de la connexion profonde à laquelle il nous invite.

Et si Pragasen Pillay ne s’oppose pas du tout à ce que des enseignants remplacent l’expression par « merci », il juge que namasté a une vibration positive qui ne peut pas faire de mal. Même si on le dit de manière superficielle. Peut-être qu’il s’agit d’un mot qui va nous donner envie d’en découvrir plus sur la philosophie du yoga…

La nuance est encore une fois au rendez-vous.

D’ailleurs, Pragasen Pillay ne prononce pas systématiquement « vanakkam », à la fin d’une classe. Il évite d’utiliser le terme devant de nouveaux élèves qui pourraient croire qu’il a quoi que ce soit de religieux, par exemple. De par leur foi, certaines personnes ne peuvent s’incliner que devant leur Dieu. Prof Pillay veut avoir le temps de leur expliquer que lorsqu’il parle de s’incliner devant les qualités divines d’autrui, il inscrit son geste dans une tradition qui va bien au-delà de la gymnastique et qui s’appuie sur des codes moraux, mais sur aucune Autorité avec un grand A.

Je trouve magnifique que des gens réfléchissent activement à ces codes, aujourd’hui. Certains cherchent à rester fidèles à une pratique qui les enrichit, sans le faire sur le dos d’une culture qui n’est pas la leur. Ce qui est chouette, c’est que tout ça peut très bien se faire en disant « namasté »… Ou non.

Tout est une question d’intention.