Mr. Big ou Aidan ? Le dilemme cornélien de la série Sex and the City a inspiré en début d’année un essai, Mister Big ou la glorification des amours toxiques, à l’autrice India Desjardins. La même question – les chroniques de Carrie Bradshaw regorgeaient de questions – s’est reposée au printemps sur mon fil Facebook, lorsqu’il a été annoncé que le personnage d’Aidan serait possiblement de la suite de la série.

À ma grande surprise, plusieurs de mes amis (amies surtout) Facebook en ont profité pour dire tout le mal qu’ils pensent du personnage incarné par John Corbett. Indolent, soporifique, mou comme son chandail de tricot blanc. Tout le contraire de Mr. Big (Chris Noth), qui brasse de grosses affaires dans son power suit de multimillionnaire.

J’étais fan de Sex and the City, une série audacieuse, captivante et spirituelle sur le bonheur et le malheur d’être femme. Un manifeste éloquent, à sa façon, sur l’émancipation féminine au tournant du siècle. Qui a dit qu’un homme était trop obtus pour apprécier les subtilités de l’humour sardonique de Miranda, des propos salaces de Samantha, des faux pas de Carrie et de la candeur éternelle de Charlotte ?

La brillante et pétillante série, inspirée par les chroniques et livres à succès de Candace Bushnell, a posé à la fin des années 90 les jalons d’une télé moins crispée, à mille lieues des dialogues proprets, formatés pour les chaînes généralistes américaines, des sitcoms populaires de l’époque de Friends et de Seinfeld. Avant Sex and the City et la révolution HBO, on n’entendait jamais le mot « fuck » à la télévision américaine, encore moins son illustration à l’écran.

Carrie et ses amies ont participé à l’injection d’une bonne dose de réalisme au petit écran. Samantha Jones est apparue en croqueuse d’hommes impénitente et le féminisme se présentait sous de nouveaux oripeaux. Ce fut une bouffée d’air frais et un succès instantané.

Malheureusement, les deux films inspirés par la série étaient nuls de nullité absolue, comme dirait un avocat new-yorkais. Le premier, en 2008, était un mauvais rêve de princesse qui attend son prince plus riche que charmant dans sa robe de mariage Vivienne Westwood. Une orgie de guenilles pour quadragénaires embourgeoisées déguisée en scénario de film. Une opération de placement de produits ostentatoire doublée d’une ode éhontée au consumérisme.

Les choses ne se sont pas améliorées deux ans plus tard pour la suite navrante et caricaturale, campée dans la nouvelle capitale de l’opulence, Abou Dabi. Les personnages que j’avais tant aimés à la télé étaient devenus au cinéma méconnaissables, désincarnés, vains, superficiels et matérialistes. Exit l’humour caustique, les quiproquos délicieux et la trame féministe. Égarés dans le désert le cynisme de Miranda, l’humour involontaire de Charlotte, l’appétit sexuel de Samantha et les réflexions tragicomiques de Carrie.

Inutile de préciser que je redoute le pire pour la suite… D’autant plus que Samantha, le personnage le plus truculent, déluré et lubrique de cette bande des quatre, est aux abonnés absents.

Sex and the City était d’abord et avant tout une série sur l’amitié. Mais la quête du grand amour était toujours présente en filigrane. Au cœur de la quête de Carrie Bradshaw, du début à la fin (et même dans les films), il y avait le ténébreux et évasif Mr. Big, de dix ans son aîné – il la surnommait « Kid » –, incapable de s’engager, qui avait fini par en marier une autre, de la moitié de son âge, après quelques mois à peine de fréquentations. Un vrai prince charmant…

PHOTO FOURNIE PAR HBO

Mr. Big (Chris Noth)

Et pourtant, entre lui et Aidan, qui a rompu avec Carrie parce qu’elle le trompait avec Mr. Big, c’est ce dernier qui est manifestement le préféré de mon cercle d’amis sur Facebook (selon un sondage absolument pas scientifique). Parce qu’il semble inaccessible, qu’il a un chauffeur, un compte en banque bien garni et qu’il porte des costumes impeccables ?

Mr. Big est pourtant, en moins abruti et vulgaire, un pseudo-Donald Trump aux cheveux bruns. Un mâle alpha du capitalisme triomphant, dans toute sa splendeur.

Alors qu’Aidan est plutôt un modeste artisan du meuble qui aime la nature. Sur Facebook le printemps dernier, plusieurs amies soulignaient à quel point Aidan était « gentil », ce qui n’était manifestement pas pour elles un compliment. « Nice guys finish last », comme on dit sur Wall Street.

« Il était peut-être mou, mais au moins ce n’était pas l’archétype de la masculinité toxique, paternaliste et désengagé, qu’était Mr. Big ! », ai-je écrit sur Facebook, en échos à l’essai d’India Desjardins et en m’affichant clairement en faveur de #TeamAidan. J’étais un peu seul de mon camp…

On me dira, sans doute avec raison, que je ne comprends rien au sex-appeal masculin. Que les cheveux gras d’Aidan n’étaient pas des plus ragoûtants, qu’il faisait du ventre, que sous ses airs baba-cool se cachait un homme capricieux. Peut-être (au début de la série surtout). Mais au moins, c’était un bon gars !

J’admets avoir de la difficulté à comprendre pourquoi certaines femmes s’intéressent à des hommes plus âgés qu’elles, seulement parce qu’ils sont riches et influents. « Est-ce pire que des hommes qui s’intéressent à des femmes seulement parce qu’elles sont belles et plus jeunes ? », m’a demandé, très à-propos, un ami cette semaine.

Mr. Big était l’homme que Carrie Bradshaw, elle-même un monument de narcissisme – malgré toutes ses qualités –, méritait. Mais à une époque où la gentillesse et la bienveillance n’ont pas la cote, ne sous-estime-t-on pas l’attrait du bon gars ?