Gilles Lauzon est né à Rosemont, et il pensait bien y mourir, après y avoir élevé sa famille et rénové «de A à Z» une agréable maison. Avec sa compagne, Mychèle Dumoulin, et leurs trois filles, ils vivaient près des grands-parents maternels et des cousins et cousines. «Des contacts qui n'ont pas de prix», commente-t-il.

Or, la vie a de ses revirements...

M. Lauzon rêvait parfois de vivre au bord du fleuve, dans le Bas-Saint-Laurent, par exemple. «Juste de regarder l'eau couler, ça me relaxe.»

En promenant leur petit-fils à Boucherville, où leur fille aînée a pris mari, les Dumoulin-Lauzon ont remarqué une charmante habitation victorienne, façade tournée vers le fleuve. Délabrée certes, mais riche de potentiel et... à vendre. Une visite, et c'est le coup de foudre. «Nous sommes tombés en amour avec le style victorien, le fleuve et ses îles, les grandes pièces, la généreuse fenestration...» En tout, 25 fenêtres, qui procurent une lumière naturelle tout au long de la journée, jusqu'à l'heure exquise du coucher de soleil.

La belle époque

Mychèle Dumoulin et Gilles Lauzon achètent la propriété en 2010, décidés à lui rendre sa nature d'origine, celle d'un élégant cottage victorien, conçu pour la belle époque de la villégiature à Boucherville, de 1891 à 1950, environ. D'un grand intérêt historique, la maison figure sur le circuit patrimonial pédestre du Vieux-Boucherville, sous le nom de maison Laurence Mercédès. Elle a une jumelle, Laurence Les saules, sa voisine immédiate. Les deux habitations ont été érigées dans la même foulée, en 1899 et en 1900, pour des membres de la famille Laurence.

En juin 2011, le couple Dumoulin-Lauzon présente son plan de restauration et de rénovation à la Ville de Boucherville, laquelle prend très au sérieux la préservation du patrimoine bâti.

Étonnants moellons

Si le couple s'attend à beaucoup de travail, on peut dire qu'il est servi. L'opération solage, par exemple, ferait bonne figure dans les 12 travaux d'Hercule. Curieusement, les fondations de la maison sont en moellons bruts, c'est-à-dire en pierres des champs peu équarries, ce qui est tout à fait incompatible avec une construction du début du XXe siècle. «Selon toute vraisemblance, lors de l'érection de la résidence actuelle, les fondations du bâtiment plus ancien auraient été réutilisées», écrit l'archéologue Francis Lamothe, dans un rapport remis à la Ville de Boucherville.

Quoi qu'il en soit, les joints de mortier de cet ouvrage ancestral s'effritent comme de la farine. M. Lauzon entreprend de les évider, au ciseau et au marteau, sur une profondeur de quatre à cinq pouces, et de les remplir d'un mortier tout neuf. «J'ai utilisé à date 22 poches de mortier, rapporte-t-il. Je pense bien me rendre à 30 avant de finir.» Une fois dûment solidifiée, la fondation, qui présente des traces de colle à crépi, sera nettoyée et laissée à nu.

Rehausser l'enveloppe

Le revêtement extérieur de la maison, un clin de bois, a été remplacé totalement, et posé à un mur... amélioré. Le mur a été muni d'une toile pare-intempérie et doté d'une lame d'air de 5/8 de pouce, pour laisser s'échapper l'humidité. Ce renflement du mur a rendu caducs les encadrements extérieurs des fenêtres, qui ont dû être amincis ou refaits.

Du polyuréthane isolant a été giclé sous la galerie et les oriels, en périphérie du plancher de l'étage et à divers autres endroits: autour de la nouvelle porte d'entrée de cave (l'entrée d'origine était irrémédiablement détériorée), dans les anciennes ouvertures du temps où la maison était un duplex, dans le mur reconstruit à la suite de l'incendie de cheminée (crise du verglas de 1998)... Bref, partout où c'était possible et nécessaire... «Par grand froid, auparavant, je réglais le thermostat à 20°C, et la température intérieure se stabilisait à 16°C, rapporte Gilles Lauzon. L'hiver dernier, je réglais à 20°C, et elle se stabilisait à 20°C<!»

La galerie, entièrement refaite, repose sur des pieux vissés, plus stables que des piliers de béton. Dans la cave de service: des poteaux ajustables pour contrer l'affaissement. L'emplacement de la piscine des propriétaires précédents sera occupé par un jeu de croquet.

Bien que propriétaire riverain (une bande de terrain de l'autre côté de la rue lui appartient), Gilles Lauzon préfère mettre son petit bateau de pêche à la marina, et ne pas avoir à enlever et remettre un quai chaque année.

«On est très souvent sur le balcon, à regarder le fleuve et prendre l'air», rapporte-t-il.

Et, bien sûr, «on voit nos petits-enfants trois ou quatre fois par semaine, on va les chercher à la garderie».

Ces choses, on le sait, n'ont pas de prix.

Un bois durable

Si Gilles Lauzon tenait à restaurer les boiseries extérieures de sa maison dans le respect du style d'origine, il comptait bien aussi ne pas avoir à repeindre tous les quatre ans.

Dans ce but, il a choisi un bois très durable, et veillé à le protéger au maximum.

Tous les éléments refaits sont en cèdre rouge : les galeries, l'escalier, les contours de portes et fenêtres, les moulures, la lisse (première planche du mur, sur la fondation), les bases des colonnes et le revêtement de clin. «J'ai choisi cette essence en fonction de plusieurs critères, explique Gilles Lauzon : son coût, sa résistance à la pourriture, ainsi que l'assurance que le bois était assez sec. J'ai téléphoné à plusieurs fournisseurs, avant d'opter pour Bois Malo, à Sainte-Mélanie.»

Pas de peinture à l'huile

Après s'être informé sur les pratiques ancestrales en peinture à l'huile, M. Lauzon a dû renoncer à ces méthodes, car on ne trouvait plus de peinture à l'huile sur les tablettes, nouvelle réglementation oblige.

Il a donc appliqué le scellant de marque Zinsser Cover Stain. Sur le clin, les plafonds de la galerie et les corniches, il a mis deux couches de teinture opaque. Sur les fenêtres, portes et mains courantes: deux couches de peinture à l'époxy.

«Il faut lire les recommandations du fabricant, souligne M. Lauzon, et même le contacter s'il nous manque des informations. Vérifier que tel produit de finition va ou ne va pas sur tel apprêt, etc.»

La saga des fenêtres

La restauration des fenêtres, décapées pouce par pouce, s'étale sur deux ans de travail effectué à temps perdu.

Au départ, une réflexion importante s'imposait: fallait-il restaurer les 25 fenêtres d'origine ou les remplacer par des fenêtres neuves? Quelques calculs estimaient la première option à 25 000$ et la seconde... à 75 000$, en incluant les dommages collatéraux.

Les fenêtres anciennes, si bien restaurées soient-elles, ne sont jamais aussi écoénergétiques que les modernes. Par contre, les fenêtres neuves présentent elles aussi des inconvénients: elles se posent dans le bâti existant, ce qui diminue la surface vitrée, donc la lumière; de plus, leur cadre, en PVC ou en aluminium, n'a pas la beauté du bois.

Les propriétaires choisissent de restaurer, sacrifiant du même coup une certaine efficacité énergétique. «Nous payons 500$ de plus en chauffage par année, explique Gilles Lauzon, mais nous estimons que nous avons économisé 50 000$ en fenêtres, en plus de conserver les proportions et l'esthétique d'origine.»

Certaines pièces de quincaillerie, par exemple les attaches des immenses fenêtres battantes, étaient trop détériorées pour être récupérées. Où s'en procurer de semblables? M. Lauzon fait le tour des antiquaires et, finalement, les trouve en naviguant sur le web, chez Stanley Hardware, aux États-Unis. À peine 100$ pour 10 paires! «Sinon, j'aurais été obligé de les faire faire par un forgeron», explique Gilles Lauzon.

L'aventure se répète, cette fois pour restaurer correctement le mécanisme de contrepoids des fenêtres à guillotine. Les câbles soutenant ces poids n'étaient plus valides depuis belle lurette. «Il m'a fallu six mois pour découvrir, sur internet, que cela se nommait "sash cord", rapporte Gilles Lauzon. L'expression m'a mené au commerçant américain, et j'ai pu en commander pour 300 pieds.»

Un autre commerçant fort apprécié, Isolation Lapointe, s'est chargé d'installer les coupe-froid des fenêtres à crémone et des portes. «Je ne connais pas d'autres coupe-froid conçus expressément pour les vieilles fenêtres», dit Gilles Lauzon.