Donald Trump, qui a rarement une bonne journée devant la cour, vient de subir toute une raclée à New York.

Ça ne changera rien, me direz-vous : un jury civil l’a déclaré responsable d’une agression sexuelle, il fait face à 91 chefs d’accusation criminels, et son parti est sur le point de le choisir comme candidat.

C’est vrai, on dirait que ça ne lui nuit jamais.

Mais ça ne l’aide pas non plus. La vraie bataille, c’est maintenant celle de la reconquête de la présidence. Et s’il a perdu en 2020, c’est beaucoup parce que les « indépendants » en ont eu marre de lui. En particulier les femmes. Y a-t-il une seule électrice ayant voté pour Biden qui aura plus le goût de voter pour lui en novembre ? Une seule personne exaspérée par le personnage qui se dira cette année : « Ah et puis, allez, un autre quatre ans avec le Donald ! On s’ennuie de sa misogynie ! » ?

Pas sûr…

Même s’il est presque assuré de sa victoire comme candidat, il faut qu’il traite Nikki Haley de cervelle d’oiseau (birdbrain). Pas certain que ça fasse recette en dehors de la secte trumpiste. S’il y a un concours de quotient intellectuel entre les deux, d’après moi, l’électrice moyenne mettrait son argent sur Haley…

Peu importe comment vous le déguiserez, c’est ce Donald Trump qui est la chance des démocrates, pour ainsi dire. C’est un répulsif électoral formidable pour l’électrice indépendante, et le moteur de la coalition anti-MAGA, dit Simon Rosenberg, un organisateur démocrate de longue date dans une récente balado peut-être trop optimiste, mais néanmoins fascinante.

Écoutez la balado sur le site du New York Times (en anglais ; abonnement requis)

La scène résume toute la stratégie juridique de Trump : se battre sur le terrain politique.

L’avocate Alina Habba, fumante de rage, est sortie comme une furie du tribunal new-yorkais où son client Trump venait de se faire condamner à verser 83,3 millions à la journaliste E. Jean Carroll.

PHOTO BRENDAN MCDERMID, REUTERS

Alina Habba, avocate de Donald Trump, à sa sortie du palais de justice de Manhattan après le verdict, vendredi

Elle a repris pour les médias le discours politique de son client : pas moyen d’obtenir justice dans l’État de New York, ni au civil ni au criminel, cette affaire est une vengeance politique, le juge ne nous a pas laissés nous défendre, etc.

Ces propos qui attaquent personnellement le juge et qui déforment la nature de la procédure risquent fort de la conduire devant son conseil de discipline. Des avocats ont été mis à l’amende et radiés de leur ordre professionnel pour beaucoup moins que ça.

Mais manifestement, MHabba s’en fout. Elle s’est déjà vantée d’avoir été mise à l’amende pour 1 million après avoir déposé une poursuite abusive au nom de Trump contre Hilary Clinton, etc. Vendredi, elle s’adressait aux partisans de Trump, comme elle l’a fait depuis le début. Il fallait se servir de cette défaite pour alimenter la théorie de la persécution judiciaire de Trump.

Ça peut être politiquement rentable auprès des fans, mais ça finit par coûter cher.

Si Carroll a poursuivi Trump, c’est uniquement parce qu’il l’a attaquée publiquement, en 2019. Elle venait de publier un livre dans lequel elle disait avoir été agressée sexuellement par lui. Il l’a traitée de folle, de menteuse. Il ne l’avait même jamais vue, a-t-il dit. Inondée d’insultes et de menaces, elle a déposé une poursuite civile. Trump ne s’est jamais présenté en cour – une bonne idée quand on voit sa déposition hors cour, où on lui a montré une photo de lui avec Carroll, qu’il a confondue avec une de ses ex-femmes…

Un jury a conclu en mai qu’elle avait été victime d’agression sexuelle (mais pas de viol). Et que Trump avait attaqué injustement sa réputation. Il a été condamné à verser 5 millions.

Il aurait pu se contenter de dire : nous contesterons ce verdict en appel.

Mais non. À peine le verdict sorti, il en remet : jamais vu cette femme, c’est une menteuse, une profiteuse, etc.

Tout ce qui était en litige dans ce deuxième procès, c’était le montant à ajouter. On ne va pas refaire le débat sur les faits, il y a « chose jugée » : l’agression a eu lieu, la diffamation est évidente.

Cette fois, il est venu à la cour, mais uniquement pour le spectacle. Et, incapable de supporter la plaidoirie de l’avocate de Carroll, il est sorti de la cour en plein milieu de l’audience.

ILLUSTRATION JANE ROSENBERG, REUTERS

Croquis d’audience montrant Donald Trump quitter la salle d’audience durant la plaidoirie de Roberta Kaplan, l’avocate de E. Jean Carroll, vendredi

Cette avocate, Roberta Kaplan, a amplement exposé ce qu’a subi sa cliente comme attaques de la part des trumpistes. Combien va-t-il falloir le faire payer pour qu’il arrête de s’en prendre à cette femme ?

Elle demandait 10 millions. Le jury a répondu : ce n’est pas assez. Allons plutôt à 83,3. Car aux États-Unis, les jurys civils (abolis au Québec) ont une totale discrétion pour déterminer les dommages « punitifs » dans une affaire. Les cours d’appel évalueront ensuite si le montant est déraisonnable, mais, règle générale, on respecte leurs décisions.

Une avocate digne de ce nom dirait à son client : ferme-la donc deux, trois ans, et attaque quelqu’un d’autre…

MHabba est davantage une militante trumpiste qu’une avocate. Elle risque de faire partie de la longue liste des avocats américains radiés, emprisonnés ou mis à l’amende après avoir agi sans discernement pour Trump.

Trump, dans cette affaire, s’est défendu politiquement, sans se soucier des conséquences juridiques. Faut dire que sa cause n’était pas très bonne. Aussi, sans doute y aura-t-il toujours assez de gens pour lui envoyer de l’argent pour payer ses condamnations, comme ils payent ses avocats.

Mais ce n’est qu’une cause parmi plusieurs autres, criminelles et civiles. Cette année sera pour Donald Trump tant judiciaire que politique. J’insiste : il a rarement une bonne journée devant une cour de justice. Là où les affirmations doivent être prouvées, et où les mensonges sont plus risqués.

Ça ne lui nuira pas auprès de ses très bruyants adeptes. Rien ne semble faire bouger ce bloc très solide d’électeurs. Ceux-là étaient déjà avec lui en 2020 et ils resteront fidèles jusqu’à la fin.

Chez ceux, et surtout celles, qui font la différence, ce groupe mobile qu’il faut séduire, ça n’aidera pas.