Monsieur le Président, vous êtes occupé, alors je serai brève. Vous avez devant vous une occasion historique au Proche-Orient, mais à en juger par vos plus récents discours, je crains que vous ne vous apprêtiez à passer à côté.

Vous avez exprimé avec raison votre indignation à l’égard des attentats terroristes perpétrés par le Hamas le 7 octobre. Nous en apprenons un peu plus tous les jours sur l’ignominie de la violence des hommes armés du mouvement islamiste qui ont décimé des communautés entières, massacré des festivaliers, tué des mères et des enfants, kidnappé des grands-mères. Une boucherie sans nom qui mérite toutes les condamnations du monde. Des atrocités injustifiables.

Vous avez aussi souligné avec exactitude que ces pogroms d’aujourd’hui rappellent ceux d’hier. Ceux dont votre père vous parlait avec tant de fougue à table alors que vous étiez enfant, vous qui êtes né en 1942, avant même la fin de l’Holocauste. « Plus jamais », disait votre papa en vous expliquant que la création de l’État d’Israël était nécessaire pour que le peuple juif puisse vivre loin de la peur, à l’abri de l’antisémitisme qui a pris feu en Allemagne, mais aussi à la grandeur de l’Europe, de l’Union soviétique et qui ne manquait pas d’avoir des échos en Amérique du Nord.

Vous êtes de la génération qui a grandi auprès de communautés juives américaines qui ont contribué de manière exemplaire – voire extraordinaire – à l’essor de votre pays.

Vos petits-enfants sont de confession juive et vous ne manquez jamais une occasion de le mettre en lumière.

Vous avez aussi une connaissance intime d’Israël sur le terrain, vous qui, en un demi-siècle de vie politique, avez côtoyé la première ministre Golda Meir et tous ceux qui l’ont suivie.

Il est donc tout naturel que vous vous montriez solidaire d’Israël dans une de ses heures les plus noires. Nous sommes nombreux à avoir le cœur serré en pensant aux familles endeuillées et aux quelque 150 otages qui sont en danger.

Comme vous l’avez répété à maintes reprises, Israël a le droit de tourner sa colère contre le Hamas, ses dirigeants et ses sbires. Vous lui avez promis un soutien « indéfectible ».

Permettez-moi de faire des chichis sur ce mot. Indéfectible rime avec inconditionnel et, dans les circonstances, cet appui mur à mur a de quoi inquiéter.

Depuis le début de la riposte d’Israël, les Nations unies sonnent l’alarme. En imposant un siège total à la bande de Gaza où s’entassent près de 2,3 millions de Palestiniens, le gouvernement israélien met en danger les civils, souligne-t-on à grands traits au bureau du Secrétaire général de l’organisation internationale. Privée d’eau et d’électricité, la population, qui vit déjà dans des conditions périlleuses depuis le début du blocus israélien en 2007, est repoussée au bord du précipice.

N’imitez pas notre premier ministre Justin Trudeau et reconnaissez que cette pratique ne respecte pas le droit humanitaire et le droit de la guerre que vous avez exhorté le gouvernement israélien à respecter.

Ne vous faites pas complice d’une riposte qui ne fait pas la différence entre les Gazaouis qui subissent le règne du Hamas depuis 16 ans et ceux qui ont prêté allégeance à l’organisation et font ses basses œuvres. Ces derniers doivent payer pour les atrocités commises, pas les premiers. Personne n’est mieux placé que vous pour répéter ce message au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et à son nouveau gouvernement de guerre. Pour lui rappeler que votre appui indéfectible est dirigé vers le peuple israélien, et non pas vers ses dirigeants en particulier.

À une époque, il aurait été difficile pour vous, Monsieur le Président, de tendre au premier ministre israélien une main de fer dans un gant de velours. Votre parti vous en aurait tenu rigueur. Mais les temps ont changé et il y a dans les rangs démocrates aujourd’hui, ainsi qu’au sein de l’électorat américain, toute une variété de points de vue sur la question israélo-palestinienne. C’est à la fois un défi et une occasion pour faire évoluer vos politiques dans la région. Pour répondre aux appréhensions d’une génération qui s’inquiète des injustices et de la violence qui nourrissent le cycle de la haine des deux côtés du conflit. Pour que les beaux discours sur les droits de la personne et l’état de droit ne soient pas que des formules creuses alimentant le cynisme.

Dans le brouillard de la guerre qui nous aveugle depuis samedi, vous avez l’occasion d’être un phare, Monsieur le Président. D’aider les autorités israéliennes à pourchasser leurs ennemis du Hamas, tout en ménageant les civils. De lier votre aide militaire et financière aux autorités israéliennes et palestiniennes à des engagements solides pour que les pourparlers de paix soient remis sur les rails. Car ce dialogue – aussi ardu et imparfait soit-il – est la seule voie possible.