En arrivant à notre rendez-vous, Claude Chamberlan, l'oeil toujours astucieux, tend sa carte. «Je suis ambassadeur d'Ex-Centris, maintenant», précise-t-il. Une casquette qui officialise, à la blague, la place qu'occupe le fondateur du cinéma Parallèle, cofondateur du Festival du nouveau cinéma et oiseau rare de Montréal.

Difficile de passer à côté de ce drôle de coco qu'est Chamberlan, qui se montre tant au café Méliès d'Ex-Centris, dans des soirées de la métropole ou dans des après-midi électoraux à l'Union française. Mais s'il est une chose dont on se rend très vite compte, c'est que l'homme est indissociable du cinéma.

Officiellement, Claude Chamberlan ne gère «plus que» la programmation du Festival du nouveau cinéma. «Je m'occupe du contenu», dit-il. Et on connaît la chanson: «Je ne m'en cache pas: prix, pas prix, je prends le meilleur du cinéma.» Ce n'est pas la programmation du 36e FNC, concoctée par une équipe fraîchement renouvelée, qui fera mentir Chamberlan.

L'épopée des festivals de cinéma il y a deux ans avait bien failli coûter la vie au FNC. Depuis, Claude Chamberlan pourfend «la ticounerie». «Les gens qui agissent comme ça, ils font régresser le Québec. Bon, là, c'est passé, mais disons que le Québec avait pas besoin de ça», glisse-t-il.

Claude Chamberlan voue peu d'admiration à l'autorité en général et aux institutions en particulier. Fils de militaire, il monte ses premiers spectacles à l'âge de 5 ans. À 10 ans, il décide de fréquenter l'école anglaise. Au milieu des enfants d'immigrés, il découvre son monde, «le monde». À 13 ans, il claque la porte du domicile familial, et se lance dans la musique, les performances et le cinéma.

Il est encore gamin, mais déjà culotté, quand il s'incruste au Forum pour un concert des Beatles en 1964. «Un de mes chocs», dit-il aujourd'hui. Adolescent, ses séances de «body painting» défrisent les autorités locales. À l'issue d'un de ses spectacles «très osés», il échappe aux policiers venus le cueillir en tenue d'Adam en s'habillant en femme.

«J'étais une belle poupoune», se souvient-il. Ce même soir, l'une de ses soeurs assistait, «bouche bée», à l'effeuillage sur scène de l'aîné de la fratrie. La famille Chamberlan compte un gars, Claude, pour quatre filles: Monique, «elle est aussi folle que moi», Marie, Mireille, et Micheline, «la poète».

«Je suis très proche de la sensibilité féminine», dit-il. Père de Swan, 28 ans, Claude Chamberlan ne dissimule pas son admiration pour son unique fille, back vocal chez Jean Leloup, toute dévouée au social, mais fine connaisseuse des arts. Il se fie souvent à ses bons conseils: «J'appelle tout le temps ma fille, au cas, pour pas être ringard.»

Amoureux des voyages et des gens, Claude Chamberlan égrène ici et là des anecdotes avec John et Yoko, qu'il rencontre à Montréal en 1969, Raoul (Ruiz), le Dalaï-Lama, Marcello (Mastroianni), Leonard (Cohen), John (Cassavettes) ou Jean (Leloup). Au Québec, Jean-Claude Lauzon (Léolo) lui manque particulièrement: «Il manque aussi à l'imaginaire québécois», dit-il.

Depuis 40 ans, Claude Chamberlan veille au chambardement des festivités dans le cinéma ou dans les arts. «Et depuis 40 ans, j'ai vu tous les gaspillages», assure-t-il. Un homme politique trouve grâce à ses yeux, le ministre Gérald Godin. «Je m'identifiais beaucoup à lui, dit-il. C'était pas un hard line nationalist bastard.»

Né à Chateauguay, Claude Chamberlan, s'étonne toujours de voir le mur d'incompréhension qui se dresse entre «blancs» et «amérindiens». «Les histoires de Québécois nationalistes, moi, ça me passe par-dessus la tête. Entre nous, il faut d'abord régler l'autonomie des autochtones. Ça commence par là, respecter les nations amérindiennes.»

Pour le reste, Chamberlan continue d'officier dans les fonctions qu'il s'est attribué il y a longtemps: «contaminer le Québec avec des gens», et, serait-on tenté d'ajouter, avec des histoires, si fantaisistes soient-elles.