Ne vous fiez pas au titre : La mémoire des anges se tient loin de toute forme d'êtres célestes. Les anges de Luc Bourdon visages d'inconnus et figures connues ont illuminé quantité de films archivés à l'ONF. Ces Montréalais, célèbres ou simples quidams, reprennent vie dans le poétique essai que signe le vidéaste.

On ne connaît pas toujours la chanson, dans La mémoire des anges. Peu importe: avec les airs de Charles Trenet (Le soleil a rendez-vous avec la lune), Raymond Lévesque (Les trottoirs, À Saint-Henri) de Paul Anka (Put Your Head On My Shoulder) ou de Monique Mercure, Luc Bourdon conjugue le Montréal des années 50 et 60 au temps présent.

«Ce n'est pas un film nostalgique. C'est un film, qui, par le montage, met le passé au temps présent. J'ai découvert une cinématographie, en grande partie connue par les historiens, mais qui, pour moi, était complètement oubliée. En même temps, il y a une reconstruction par le montage», raconte Luc Bourdon, qui fut accompagné dans son épopée par le monteur Michel Giroux.

À l'origine du film était le mot. Luc Bourdon s'est souvent posé la question: «Pourquoi continue-t-on à tourner? Comme tout a été tourné, pourquoi ne prend-on pas les rushs de tout à chacun pour raconter des histoires?» dit-il. Question qui n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde puisque Colette Loumède, productrice de l'ONF, propose à Bourdon de faire un film à partir de rushs et d'images de films d'archives.

«Pour moi, la plus grande crainte était de ne pas réussir à relever le pari: réussir à faire un film sans tournage, sans enregistrement sonore», se souvient Luc Bourdon. Avec Michel Giroux, il visionne 200 films d'archives de l'ONF, des années 50 à la fin du XXe siècle.

«J'ai pris 200 films, les exécutions qui m'intéressaient, on a tout mélangé, et on a tout repris, comme si c'était nos rushs. Par exemple, dans le segment Vieux-Montréal, tu as une séquence où tu as neuf plans, ces neuf plans viennent de neuf films, pour recréer un espace temps», explique-t-il.

Au montage final, Luc Bourdon circonscrit son film aux années 50 et 60. «Dans les années 70, dès que la révolution est en marche, les barbus sortent, il y a l'amour libre, une manière de tenir la caméra, une espèce de liberté qui m'a paru, à moi, totalement inintéressante, rit-il. C'est pour ça que le film va des années 50 à 1967, pour l'Expo. Il y avait alors une candeur.»

Les experts du cinéma québécois ne manqueront pas de retrouver dans La mémoire des anges des plans de films devenus de véritables références - on pense entres autres à Ça n'est pas le temps des romans de Fernand Dansereau ou à La vie heureuse de Leopold Z, de Gilles Carle.

Dans la collection de l'ONF, Luc Bourdon et Michel Giroux ont également pioché dans les premiers films de Gilles Groulx ou de Claude Jutra, ainsi que dans les films non signés que produisait l'ONF sur «l'état de la nation» à des fins de propagande pancanadienne.

Pas une anthologie


«Notre seule règle, c'était de défaire systématiquement chaque séquence. Il n'était pas question que l'on retrouve, dans le film, l'ordre d'un montage déjà réalisé. On s'est donné des règles pour tendre à construire un nouveau film, et pas faire de l'anthologie», dit-il.

Se dégage de La mémoire des anges un regard totalement neuf sur le Montréal des années 50 et 60, ses rues bondées, ses quartiers populaires, témoignage, dans la langue visuelle d'aujourd'hui, du Montréal d'hier. «Je n'ai pas toujours trouvé que Montréal était bien représenté à l'écran. J'ai eu la chance de faire un best of, de prendre les plus beaux plans des films», dit Luc Bourdon.

L'ensemble peut contenir ses «exotismes» pour ceux qui n'ont pas connu l'époque, comme, par exemple, le Vieux-Port industriel, le marché de la place Jacques-Cartier ou encore la façon de s'habiller des passants. «J'ai complètement flippé sur les mecs: ils sont beaux, ils sont bien fringués, ils sont d'une élégance... On n'aurait pas du faire la révolution!» plaisante Luc Bourdon.

Film profondément ancré dans l'histoire et le territoire montréalais, La mémoire des anges se voit comme Les ailes du désir de Wim Wenders: pas besoin d'être montréalais - ou berlinois - pour l'apprécier, souligne Luc Bourdon, qui a présenté pour la première fois son film lors du dernier Festival de Toronto.
Les spectateurs canadiens ou américains «s'y retrouvaient dans le film, même s'ils ne connaissaient pas la ville, ils se retrouvaient dans la démarche. L'affect d'être local n'est pas nécessaire. Donc, c'est du cinéma: ça peut parler à un public qui n'est pas nécessairement montréalais», estime le réalisateur. On aurait donc tort de s'en priver.