Consacré meilleur film canadien au dernier Festival de Toronto, le drame sentimental Cairo Time a été tourné en Égypte dans des conditions qui n'avaient rien de romantique...

C'est bien connu. Même les plus belles histoires d'amour peuvent être compliquées. Parlez-en à la réalisatrice torontoise Ruba Nadda, qui vient de remporter le prix du Meilleur film canadien au dernier Fetsival de Toronto, avec le long métrage Cairo Time.

Ce drame sentimental, qui met en vedette Patricia Clarkson et Alexander Siddig, a été tourné dans les rues de la capitale égyptienne dans des conditions qui n'avaient rien de romantique. Et la cinéaste admet qu'elle n'aurait sans doute pas pu rendre la production à terme, n'eût été de ses racines arabes.

«Ce fut une expérience complètement folle, résume Mme Nadda, qui était de passage cette semaine à Montréal, sa ville natale. Et pourtant, on m'avait bien avertie.»

Au-delà du chaos, des 17 millions d'habitants, des rues sans feux de circulation et de la surveillance policière, la réalisatrice affirme avoir eu beaucoup de difficultés avec les autorités égyptiennes, qui l'ont talonnée avec un extraordinaire excès de zèle.

«Ils avaient très peur qu'on donne une mauvaise image de la ville. Ils ne voulaient pas qu'on filme la pauvreté. Ni la saleté. Ni les gares de trains. Ni les pyramides. Tout le long du tournage, on a été suivis par une agente du comité de censure. Il a fallu rivaliser d'ingéniosité pour se soustraire à sa surveillance», raconte Ruba Nadda, qui préfère en rire aujourd'hui, mais qui avoue avoir vécu quelques moments cauchemardesques.

La cinéaste de 37 ans est convaincue que ses origines syrio-palestiniennes l'ont aidée à contourner ces écueils. Parlant couramment arabe, elle a parfois dû bluffer et se faire passer pour une cinéaste syrienne, afin d'aller «voler» des images interdites (les pyramides, notamment) et de se dépêtrer de certains contrôles policiers.

Malgré tout, Ruba Nadda n'aurait pour rien au monde voulu tourner ailleurs qu'au Caire. Ainsi le voulait son scénario. Ainsi le voulait sa vision. «Je n'avais aucun plan B», résume la réalisatrice, qui a découvert la ville étant adolescente, alors qu'elle vivait à Damas avec ses parents. «Pour moi, c'était la ville romantique par excellence.»

Montréal et confusion internationale

Sorte de Lost in Translation version «âge mûr» (les deux personnages principaux ont 50 ans), Cairo Time raconte la chaste histoire d'amour d'une Américaine et d'un Égyptien, qui se découvrent des accointances insoupçonnées. La cinéaste refuse d'y voir un quelconque message politique, mais admet que le choix de réconcilier ces deux mondes était volontaire. Car au-delà du climat de tension post-11 septembre, elle reste persuadée que l'Occident et le monde musulman peuvent cohabiter harmonieusement.

Ruba Nadda, qui se considère elle-même comme un produit du métissage, ne pouvait être mieux placée pour en parler. Née à Montréal, d'un père syrien et d'une mère palestinienne, la cinéaste a vécu aux quatre coins de la planète, avant d'étudier la littérature aux États-Unis et de s'installer à Toronto. Musulmane non pratiquante, elle se décrit comme une femme à la «nationalité confuse» mais revendique pleinement sa culture arabo-nord-américaine.

Étonnamment, ses 17 premiers courts métrages n'ont à peu près jamais été vus au Canada, alors qu'ils ont fait la ronde des festivals internationaux. «Totalement inattendu», le prix du Festival de Toronto lui donne, dit-elle, «l'impression de rentrer à la maison».

Ce qui ne l'empêchera pas de retourner au Moyen-Orient pour son troisième long métrage, un thriller politique dont l'action se déroulera à Damas. Pas question, toutefois, de tourner en Syrie. Assagie par son expérience égyptienne, Ruba Nadda vise plutôt le Liban ou la Turquie, où la bureaucratie s'annonce un peu plus souple...