L’idée de présenter en première mondiale en Chine un film sur un compositeur québécois méconnu peut paraître saugrenue. Pourtant les invités chinois qui ont vu L’enfant prodige, dimanche soir à Shanghai, ont été séduits autant sinon plus que les spectateurs québécois et canadiens par un personnage-clé du film de Luc Dionne : la musique d’André Mathieu.

À la réception qui a suivi la projection de L’enfant prodige, la plupart des invités causaient surtout musique. Peut-être même davantage les Chinois, qui se passionnent pour la chose musicale et qui venaient de découvrir celle d’un compositeur inconnu, André Mathieu, magnifiquement servie par le pianiste et directeur musical Alain Lefèvre.

Pourquoi Shanghai? Parce qu’Alain Lefèvre y jouait la veille le Concerto no 4 du même Mathieu dans le premier des cinq  grands spectacles du programme culturel du Canada à l’Expo 2010. «Sur le coup je n’ai pas accordé beaucoup d’importance à ça, puis je me suis dit que s’il y a un film qui mérite d’être vu à l’étranger pour sa première, c’est bien celui-là, dit le scénariste et réalisateur Luc Dionne.  Parce qu’on peut faire des disques, des films et des livres sur Mathieu, mais s’il n’est pas plus joué ailleurs dans dix ans, on aura fait tout ça pour rien. La première étape c’est de faire connaître la musique et je pense que ce film-là est un outil essentiel pour ce faire.  Je vois bien les réactions ici et aux nombreux visionnements et ça marche. Tout le monde dit "quelle musique extraordinaire"!»

«Moi, ça m’impressionne que des gens qui ont une langue très différente de la nôtre suivent  le film du début à la fin et semblent l’adorer, de renchérir la productrice Denise Robert.  Hier soir, Alain a fait son Concerto qui était magnifique et ce soir, les gens sont venus découvrir André Mathieu. On a de bons échos et c’est encourageant.»

La projection de dimanche a rassuré Patrick Drolet qui incarne André Mathieu adulte : «C’est l’aspect pianiste qui m’a stressé énormément dans ce film-là», avoue-t-il même si les mains qu’on voit sur le clavier sont évidemment celles d’une doublure. Drolet s’explique :  «Il s’agit d’une séquence où tu ne crois pas que je suis pianiste et le film ne tient pas. Ce soir, les musiciens de Marie-Jo Thério sont venus me voir et m’ont dit  qu’ils me surveillaient, qu’ils essayaient de me trouver une faute. La musique de Mathieu se promène aux deux extrémités du clavier et  ils regardaient mon corps. Ils m’ont dit : "Tu nous a vraiment eus".»

Après la projection, Alain Lefèvre, pourtant si énergique en concert la veille, avait l’air épuisé : «Je ne sais pas si ça se dit en entrevue, mais je suis au bout du rouleau, lâche Lefèvre. Avec Mathieu, tout a été une bataille, rien n’a été facile. Si un jour je n’écrivais que 20% de ce qui m’est arrivé comme embûches, je ne pense même pas que  les gens le croiraient. Ce soir, je suis vidé, c’est beaucoup d’émotion et je n’en tire aucune gloire.» «Ce que j’ai surtout entendu des gens ce soir, c’est que la musique est devenue un personnage, ajoute Lefèvre. Est-ce que le but est accompli? Ça serait prétentieux de dire ça. Il faut maintenant que des collègues musiciens décident de mettre à leur répertoire la musique de Mathieu. Faudra qu’on ait cette fierté de dire : pourquoi pas? Est-ce qu’on l’aura? C’est la grande question que je me pose aujourd’hui.»