Ses films font les beaux jours de toutes les cinémathèques, mais le célèbre cinéaste grec Theo Angelopoulos a quand même aujourd'hui du mal à monter ses projets dans un monde en crise.

De passage à Montréal cette semaine pour lancer un programme que lui consacre la Cinémathèque québécoise à l'invitation du Festival des films du monde, Theo Angelopoulos affirme d'entrée de jeu apprécier ce genre de coup de chapeau. Sept longs métrages, choisis selon les disponibilités des copies par le Centre du cinéma grec, sont présentés gratuitement au public. L'opération est financée par l'entrepreneur Costas Spiliadis à l'occasion du 30e anniversaire du restaurant Milos, dont celui-ci est propriétaire.

Le vénéré cinéaste déplorait toutefois du même souffle les difficultés qu'il éprouve maintenant pour mettre ses projets en marche. Et les diffuser.

«Quand ça va mal sur le plan économique, la culture écope toujours en premier, explique-t-il au cours d'une entrevue accordée à La Presse. C'est comme ça partout dans le monde. Comme la crise est particulièrement aiguë en Grèce, je suis en mode d'attente. Je serais évidemment prêt à tourner L'autre mer, le dernier volet d'une trilogie amorcée avec La terre qui pleure, mais c'est impossible pour l'instant. Cette crise ne touche d'ailleurs pas seulement le secteur économique. Il y a aussi crise artistique. Et, surtout, crise des valeurs.»

Lauréat de la Palme d'or du Festival de Cannes en 1998 grâce à L'éternité et un jour, Theo Angelopoulos a aujourd'hui l'impression de lancer une bouteille à la mer en défendant une conception du cinéma qui ne correspond plus aux attentes de «l'industrie». Ni à ses impératifs commerciaux.

«Les goûts du public ont changé, c'est indéniable, dit-il. La télévision en est responsable en grande partie, car elle ne produit plus que des émissions destinées à plaire au plus grand nombre. Il est maintenant plus difficile pour un spectateur de se construire une éthique, ou d'être sensible à l'esthétique du cinéma, car son regard est perverti très jeune par les images qu'il voit à la télé. Or, un regard, ça se cultive. Comme le reste.»

Tout s'entremêle

Si le contexte est différent de celui qui prévalait au moment où il tournait Reconstruction, son premier film, le réalisateur de L'apiculteur n'abandonne pas la partie pour autant.

«Le cinéma est ma respiration, confie-t-il. C'est ma vie. Le dialogue est très fort entre le créateur et son oeuvre. Au point où les films s'entremêlent souvent à sa vie privée. Et deviennent sa vie, en fait. Même si les sujets ont souvent été inspirés par des articles que j'ai pu lire dans les journaux, il y a beaucoup de mon histoire personnelle dans mes films. Paysage dans le brouillard, par exemple, évoque l'enfance à travers une histoire que j'ai racontée à mes filles. Avant de devenir un scénario et un film, c'était d'abord un conte de fées!»

Selon lui, une démarche artistique s'inscrit dans la continuité.

«Je suis condamné à ne faire qu'un seul film, explique-t-il. De la même manière qu'un compositeur ne produira qu'une seule musique, qu'un écrivain n'écrira qu'un seul roman. Dans mon esprit, une oeuvre de cinéma est constituée de chapitres qui s'ajoutent dans un grand livre. L'oeuvre se construit de film en film.»

Même s'il doit désormais composer avec les nouvelles méthodes de diffusion des films - DVD, internet, etc. -, Theo Angelopoulos estime qu'une oeuvre cinématographique ne peut exister que sur grand écran.

«Je suis bien obligé d'accepter ces nouveaux modes de diffusion, dit-il. Mais je ne les aime pas. Pour moi, le cinéma est une messe. Il doit y avoir communion entre une oeuvre cinématographique et un public.»

Récemment, les compatriotes de Theo Angelopoulos se sont exprimés par votre populaire et ont inscrit le nom du cinéaste sur la liste des 100 personnalités grecques les plus marquantes de l'histoire. L'artiste fut bien entendu touché par cette marque d'affection. «Ils me voient comme l'un des leurs et cela me fait très plaisir», dit-il.

Quand on lui demande ce qui le motive à poursuivre sa démarche, malgré les difficultés du contexte dans lequel il évolue, le maître, reconnu pour son approche très pure et l'utilisation du plan-séquence, nous réfère à un passage de La mort d'un apiculteur, un livre écrit par le romancier suédois Lars Gustafsson.

«Devant la mort, on ne se livre pas. On continue...» conclut-il avec un large sourire.

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L'hommage à Theo Angelopoulos se poursuit à la Cinémathèque québécoise jusqu'au 1er octobre. Entrée libre.