Dans Visions, Diane Kruger incarne une pilote de ligne qui s’impose la même rigueur dans sa vie que dans son avion. Quand une flamme du passé revient, sa forteresse s’écroule. Discussion avec le réalisateur Yann Gozlan sur les différentes thématiques de son film.

Le contrôle

Au travail, Estelle Vasseur (Diane Kruger) n’a pas le droit à l’erreur. Elle applique le même principe lorsqu’elle est sur la terre ferme. « La discipline de fer, le régime alimentaire, la séance de sport intensif… Tout ce qu’elle s’impose est dans un souci de maîtrise de soi, souligne Yann Gozlan, qui a également coscénarisé Visions. Deux objets symbolisent cette recherche de contrôle : sa montre cardio et l’écran domotique qui gère tous les appareils de sa maison. Ils ne sont pas sans évoquer un tableau de bord, mais peuvent aussi être perçus comme un prolongement du personnage, qui est presque une femme-machine. Quand ressurgit Anna [Marta Nieto], qui est son amour du passé, la machine va commencer à se dérégler et à s’humaniser d’une certaine manière. Paradoxalement, l’émotion va la faire dérailler et elle ne pourra plus se contrôler. »

PHOTO YOHAN BONNET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mathieu Kassovitz, Diane Kruger et Yann Gozlan

L’abandon

« Je crois qu’on aspire tous à la stabilité, à la sécurité et à l’ordre dans nos vies, mais en même temps, on a tendance à vouloir y échapper, à vivre des aventures et à être destructeur. C’est une dualité qui m’a toujours fasciné », confie Yann Gozlan. Quand Estelle recroise Anna dans un aéroport, elle essaie d’abord de se cacher, mais prend finalement en note son numéro après une brève conversation. Elle l’invite plus tard à manger dans sa luxueuse maison et la présente à son mari (Mathieu Kassovitz). Elle tente de contrôler la situation, mais son tiraillement ne fait que s’accentuer. « Elle aime vraiment son mari, mais c’est quelque chose de plus puissant, de plus fort ; une pulsion qu’elle ne peut maîtriser et qui fait qu’elle est sous l’emprise d’Anna. C’est un besoin irrépressible dans sa vie qu’elle vient combler », souligne celui qui a également réalisé Boîte noire et Burn Out.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Scène de Visions, de Yann Gozlan

Les prémonitions

Visions est parsemé de… visions. On se demande s’il s’agit de rêves, de projections de l’avenir ou de représentations des craintes et des désirs d’Estelle. « J’avais envie d’évoquer le phénomène de prémonition, indique Yann Gozlan. Michel Fessler, l’un des scénaristes, m’a proposé l’idée d’un personnage hanté par un rêve récurrent, celui d’une maison sur une plage [celle d’Anna], et qui tombe sur la maison, comme si le rêve contaminait le réel. » La spécificité du métier d’Estelle permet d’explorer non seulement la lourde responsabilité que portent les pilotes, mais aussi les effets sur leur corps. « Je me suis entretenu avec des pilotes qui font du long-courrier et ils me disaient qu’ils sont toujours un peu jet-laggés, ce qui provoque la perte des repères et des problèmes de sommeil. » Le réalisateur souligne qu’Estelle sent qu’elle doit être deux fois plus performante puisqu’elle évolue dans un milieu dominé par les hommes.

PHOTO THIBAULT GRABHERR, FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Marta Nieto et Diane Kruger dans Visions

La paranoïa

« Progressivement, l’environnement et tout le monde paraissent suspects pour créer un sentiment de paranoïa. Est-ce que son mari joue double jeu ? Est-il au courant de son adultère ? Est-ce qu’elle le voit menaçant ou l’est-il vraiment ? Quant à Anna, est-elle une femme fatale ou juste une aventure dans laquelle Estelle s’investit trop ? Je voulais qu’on prenne le point de vue de l’héroïne et qu’on se pose des questions sur la dangerosité ou non des personnages qui l’entourent. Je voulais que tout soit ambigu, que tout soit trouble. » Les deux maisons, celle moderne presque tout en verre du couple, puis celle d’une autre époque située sur la plage d’Anna, ajoutent au climat anxiogène, estime Yann Gozlan. « Le film est assez claustrophobique même s’il y a beaucoup de scènes qui se déroulent à l’extérieur. Je voulais que ces deux maisons dégagent quelque chose d’inquiétant. L’une donne l’impression d’être à la vue de tous et d’être enfermé dans une prison de verre, alors que l’autre est sombre avec cette fissure dans le mur qui est une symbolique de la déchirure mentale de l’héroïne. »

L’équilibre

Le synopsis présente Anna comme étant l’élément déclencheur qui plonge Estelle dans une horrible spirale. Yann Gozlan croit que les gens qui tentent d’exercer un grand contrôle sont souvent les plus fragiles. « On voit Anna comme le grain de sable qui va gripper la machine, mais je pense que le ver était dans la pomme. L’équilibre peut être très précaire. Le contrôle aide à dissimuler des failles béantes. Comme un colosse aux pieds d’argile. L’équilibre d’Estelle était déjà très compliqué à gérer et je crois que l’arrivée d’Anna n’est qu’un révélateur du trouble qui était déjà en elle. »

Visions prend l’affiche le 20 octobre.