Depuis son prix au Festival de Cannes, Aftersun, le premier long métrage de la réalisatrice Charlotte Wells, ne s’attire que des critiques élogieuses. Le film met en vedette Paul Mescal – révélé dans Normal People – dans la peau d’un jeune père en vacances en Turquie avec sa fille, jouée par la formidable jeune actrice Frankie Corio. Entrevues avec Charlotte Wells et Paul Mescal.

Charlotte Wells a consacré son premier court métrage à une adolescente, qui, comme elle, a vécu le deuil de son père au trop jeune âge de 16 ans.

Peu de temps après, la cinéaste regardait des photos de vacances de famille quand elle a été frappée par la jeunesse de son père. Elle venait alors de trouver la source d’inspiration de son premier long métrage, Aftersun, qui sort le 28 octobre en salles au Québec.

« Il y a une certaine continuation entre les deux films, car il est question du deuil », indique Charlotte Wells.

Dès les premières minutes d’Aftersun, on comprend – avec des images de vidéos de famille – que les vacances d’un jeune père séparé (Paul Mescal) avec sa fille de 11 ans (Frankie Corio) sont des souvenirs du passé teintés de nostalgie et mélancolie.

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Paul Mescal , acteur, et Charlotte Wells, réalisatrice

Très proches et complices, Calum et Sophie passent pour des frère et sœur. On sent rapidement toute la bonté qui habite Calum.

Calum est drôle, il est complexe… Il traite sa fille comme son égale. Il a le cœur à la bonne place de façon incorruptible.

Paul Mescal, interprète de Calum

Mais si Calum est un bon jeune père en excellents termes avec son ex-conjointe, il a de grandes zones d’ombre mystérieuses, poursuit l’acteur irlandais. « Pourquoi fait-il du tai-chi ? Pourquoi a-t-il un plâtre au poignet ? Pourquoi veut-il apprendre à sa fille à se défendre en cas d’attaque ? C’est comme s’il ne faisait pas confiance au monde […] J’avais tellement de questions à propos de lui en lisant le scénario, mais j’aimais profondément ce qu’il est. »

« Je pense que mes personnages sont souvent dans le déni de quelque chose, note Charlotte Wells. J’aime les gens imprévisibles avec une complexité et une ambiguïté. J’aime aussi les sentiments en perpétuel changement. »

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Frankie Corio et Paul Mescal dans Aftersun, de Charlotte Wells

Trouver les bons acteurs

Charlotte Wells a sollicité Paul Mescal après le phénomène télévisuel de Normal People qui a révélé au monde son talent brut. Ce dernier avait un conflit d’horaire, mais il a finalement pu se libérer. « Nous avons eu une de ces conversations que tu termines avec un rush d’excitation et le sentiment d’avoir connecté avec quelqu’un, raconte la réalisatrice. Il avait compris mes intentions alors que c’était un scénario avec un défi de lecture. La scène du rave, par exemple, est très visuelle. Il devait me faire confiance. »

Malgré nos entrevues faites séparément sur Zoom, nous avons tout de suite saisi pourquoi Charlotte Wells et Paul Mescal s’entendent si bien avec leur caractère plutôt introverti. « Charlotte est très douce et attentive, ce qui va avec mes sensibilités et moi qui n’aime pas les éclats [loudness] et l’arrivisme [pushiness] », dit l’acteur de sa réalisatrice.

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Frankie Corio dans Aftersun

Le processus a été plus ardu pour trouver Frankie Corio, qui incarne Sophie avec un naturel désarmant. Il a fallu six mois d’auditions avec 800 jeunes filles, indique Charlotte Wells.

Ma directrice de casting Lucy Pardee est réputée pour découvrir des gens qui n’ont jamais joué avant. Elle m’a même donné des trucs pour soutirer la meilleure performance de Frankie.

Charlotte Wells

Son conseil le plus judicieux a sans doute été de prévoir deux semaines de répétitions en Turquie avec Paul Mescal avant le tournage. « Ils ont juste appris à se connaître en passant du temps ensemble. »

On ose souligner à Paul Mescal qu’Aftersun rejoint Normal People par son réalisme. « Si je ne choisis pas un scénario, c’est que je ne sens pas que les personnages pourraient exister dans la vraie vie », répond-il.

Bande originale d’exception

À la réalisation, Charlotte Wells a déjà une touche bien à elle. Il y a une scène, par exemple, où on voit une photo apparaître tranquillement sur une cartouche Polaroïd, alors qu’un dialogue important se déroule en hors-champ. « Cela reflète que le film est relatif à la mémoire, explique-t-elle. C’est aussi une façon de montrer que des évènements très significatifs dans une vie peuvent survenir très rapidement. »

Il faut aussi d’ailleurs souligner la qualité de la bande originale qui reflète l’époque d’il y a 20 ans avec des chansons comme Losing My Religion de R. E. M., Never Ever de All Saints et même Drinking in L. A. de Bran Van 3000. Mais comment Charlotte Wells a-t-elle pu mettre la main sur les droits d’Under Pressure de Queen avec David Bowie pour l’une des scènes finales ?

Notre superviseure musicale mérite tous les prix. Je ne sais pas comment elle a fait !

Charlotte Wells, réalisatrice

« Je suis très fière de cette scène. Pour moi, c’est la touche d’une réalisatrice déjà iconique », renchérit Paul Mescal. « Que les mots d’une chanson que nous écoutons depuis tant d’années soient remis dans un contexte père-fille, c’est percutant », ajoute-t-il.

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Paul Mescal dans Aftersun

Des choix artistiques et non commerciaux

Pour ses débuts au cinéma, Paul Mescal a pris la voie des films indépendants, avec des réalisatrices de surcroît, soit The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal (d’après un livre d’Elena Ferrante) et God’s Creatures de Saela Davis et Anna Rose Holmer. « Je voulais travailler avec elles à cause de leur projet et non à cause de leur genre. Ce n’était pas conscient bien que je sache que c’est un sujet très important dans l’industrie. »

Paul Mescal, qu’on ne peut certainement pas accuser d’opportunisme, se dit soulagé que la folie de Normal People et de Cannes soit derrière lui. « Je préfère faire les films à ça… mais c’est beaucoup plus facile quand on aime les œuvres que l’on présente », souligne-t-il.

Aftersun sera en salle le vendredi 28 octobre.

Plusieurs prix

En plus d'avoir remporté le prix du jury de la Semaine de la critique au Festival de Cannes au printemps dernier, Aftersun a été présenté au Festival international du film de Toronto. Le weekend dernier, le film de Charlotte Wells a aussi remporté le prix de la Louve d'or pour le meilleur long métrage au Festival du nouveau cinéma, alors que Paul Mescal s'est mérité le prix d'interprétation.