La cinéaste française Claire Denis adapte cette fois une nouvelle de l’écrivain américain Denis Johnson, au cœur de laquelle figure une liaison passionnelle entre deux étrangers coincés au Nicaragua. Margaret Qualley et Joe Alwyn sont les têtes d’affiche de ce drame sentimental qui, au Festival de Cannes, a obtenu le grand prix.

Claire Denis a découvert la nouvelle qu’a écrite Denis Johnson en 1986 il y a une dizaine d’années. Campé au moment où le Nicaragua était plongé dans une guerre civile, le récit, largement autobiographique, relatait les difficultés d’un journaliste américain sur le terrain.

« C’est d’abord le style, l’esprit de Denis Johnson qui m’a séduite et passionnée », souligne Claire Denis au cours d’un entretien accordé à La Presse en visioconférence du festival du film de New York. « J’aimais sa façon de raconter son histoire avec une forme d’ironie, comme s’il y avait toujours un doute sur la puissance de la relation amoureuse. Je me suis laissé emporter par son style, ses dialogues. »

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Quatre ans après High Life, Claire Denis propose Stars at Noon (Des étoiles à midi), son deuxième long métrage en langue anglaise.

La cinéaste s’est toutefois vue obligée de transposer l’histoire de la nouvelle à notre époque, un tournage au Nicaragua se révélant impossible à cause de la pandémie. La situation politique rendait aussi le projet irréalisable sous cette forme.

« Je l’ai regretté parce que le Nicaragua est un pays magnifique. J’y suis allée trois fois en repérage avant la pandémie et j’ai essayé de traduire un peu ce qui m’en est resté, mais nous avons dû faire écho au pays d’aujourd’hui, devenu une zone interdite, au Panamá. Cela dit, j’évoque davantage dans ce film l’esprit de Denis Johnson plutôt que celui du Nicaragua, un pays à part en Amérique centrale, qui ne ressemble à aucun autre. »

Rencontre avec l’écrivain

Dès qu’elle a eu le désir de porter à l’écran Stars at Noon, Claire Denis a contacté l’auteur, avec qui elle a pu tisser une relation féconde, même si ce dernier lui a clairement signifié son intention de s’éloigner de tout processus de réécriture pour un scénario.

« J’ai d’abord écrit à Denis et nous nous sommes rencontrés, explique la cinéaste. Il m’a tout de suite dit que jamais, jamais, au grand jamais il ne voulait écrire un scénario. En plus, c’est sa première nouvelle et il y raconte sa propre histoire. Cela dit, il m’a immédiatement donné son accord. Quand on s’est vus, on s’est aimés tout de suite. Sa femme a vu le film il y a un mois. Elle a été très touchée. »

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Margaret Qualley et Joe Alwyn dans Stars at Noon

Quand Denis Johnson est mort, en 2017, Claire Denis était en train de tourner High Life avec Robert Pattinson. Cette disparition a poussé la cinéaste à mettre de l’avant son projet d’adaptation.

« J’aimais beaucoup l’écrivain, mais beaucoup l’homme aussi. La mort de Denis m’a beaucoup attristée. J’ai alors dit à Robert [Pattinson] que Stars at Noon serait mon prochain film et que s’il voulait jouer le rôle de l’homme d’affaires britannique que rencontre la journaliste, ce serait bien. Tout juste après, Robert a tourné Tenet, puis la pandémie est arrivée, Batman aussi. Comme Margaret Qualley attendait, j’ai dû faire appel à un autre acteur, Joe Alwyn, en l’occurrence. De toute façon, je n’avais pas écrit le scénario en fonction des acteurs, mais plutôt en pensant à Denis Johnson. Denis se retrouve d’ailleurs dans les deux personnages. »

Une même motivation

Révélée en 1988 grâce à Chocolat, Claire Denis propose aujourd’hui son 15long métrage de fiction. Son œuvre est jalonnée de propositions fortes, de laquelle ressortent des œuvres à résonance plus personnelle comme, outre Chocolat, 35 rhums ou Beau travail.

« Ma motivation est toujours la même, dit-elle. Parfois, je m’étonne de constater à quel point elle ne change pas depuis 35 ans, en dépit du fait que le milieu du cinéma n’est forcément plus le même, le monde non plus. »

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Au plus récent Festival de Cannes, Stars at Noon a valu à Claire Denis le grand prix.

La cinéaste s’est par ailleurs retrouvée dans une position inusitée cette année. Avec amour et acharnement, un long métrage qu’elle a tourné rapidement pendant la pandémie avec Juliette Binoche et Vincent Lindon, a obtenu l’Ours d’argent de la mise en scène à la Berlinale. Trois mois plus tard, Stars at Noon obtenait le grand prix du Festival de Cannes, ex æquo avec Close, de Lukas Dhont.

« Le prix de la mise en scène à Berlin était complètement inattendu, commente Claire Denis. Quand on me l’a remis, je me suis rendu compte, à ce moment-là, que dans ce film violent, tourné en peu de jours, la mise en scène était très physique, comme venue naturellement de mon corps. J’ai aimé qu’on me le fasse remarquer grâce à ce prix. Un grand prix, c’est plus abstrait. Mais c’est très bien aussi ! »

Stars at Noon (Des étoiles à midi en version française) prendra l’affiche le 14 octobre.