Pour son premier long métrage, Albéric Aurtenèche raconte l’histoire d’Éloi, un homme-enfant perdu parmi des hommes de chasse chez qui affirmer sa masculinité se compte en pointes de panache. Dès lors, une seule chose compte pour cet adulescent : trouver l’homme en lui. Éloi part à la chasse à son âme.

Dans une scène comique de La contemplation du mystère, le personnage principal d’Éloi (Emmanuel Schwartz) fait une référence verbale au documentaire La bête lumineuse de Pierre Perreault. Ce n’est pas fortuit. Campés en forêt, les deux films sont à l’affût de thématiques sœurs : masculinité, relations père-fils, face-à-face avec la mort, esprit compétitif.

En entrevue, M. Aurtenèche confirme en riant notre impression et s’attarde sur l’aspect « rituel de passage » inhérent à l’exercice de la chasse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Albéric Aurtenèche, réalisateur de La contemplation du mystère

S’il y a un lien entre tous les éléments du film, c’est la chasse. Il existe encore une pensée chez les chasseurs voulant que le moment où le père emmène son fils à la chasse est comme la passation d’un certain savoir, une nouvelle étape de vie.

Albéric Aurtenèche, réalisateur

Le cinéaste sait que la relation père-fils est un thème récurrent dans la cinématographie québécoise, mais ajoute vouloir se démarquer en l’abordant avec une approche décalée.

« Je suis un peu tanné des drames naturalistes qu’on voit de plus en plus, dit-il avec franchise. Oui, mon film est un drame, mais j’ai appris à ne pas me prendre trop au sérieux. Je ne voulais pas tomber dans une histoire déprimante. Alors, le cynisme d’Éloi permet de désamorcer son rapport à ses questions existentielles. »

Questions existentielles ? Parfaitement !

Éloi, dont le père est mort à la chasse, se pose des questions sur le paternel comme sur sa propre identité. Lorsqu’un groupe de chasseurs, amis de son père, l’initient à un ordre voué à la « défense des intérêts de la chasse », il est affolé. Il se sent perdu dans ce groupe avec lequel il n’a pas d’esprit de corps.

Incapable d’avoir des réponses claires à ses questions, il s’invente alors des univers parallèles. Du réalisme poétique de la forêt, on passe au monde fantasmé que s’invente Éloi. Et de là, dans un troisième univers créé par la consommation de drogues dures.

Ça vous donne une impression de densité ? En plein dans le mille ! Dans ce film ambitieux, les couches sont multiples, les genres (fantastique, mythologie, chamanisme, monde réel) se télescopent…

« Le fantastique permet d’apporter une autre dimension au film, de sortir du naturalisme », défend le réalisateur.

Dès le départ, M. Aurtenèche a vu en Emmanuel Schwartz l’acteur par excellence pour bien faire ressentir les tourments et questionnements d’Éloi.

« Emmanuel porte l’ironie et le cynisme du personnage, expose-t-il. Sa stature et son jeu physique sont propices à créer cette présence saugrenue dans la forêt d’un grand gars mêlé dans les feuillages [rires]. »

Le grand gars en question a été dès le départ séduit par la proposition. « Quel cadeau Albé m’a fait, lance M. Schwartz en entrevue. Quand un scénariste et réalisateur te dit : “Je te vois dans ma soupe depuis trois ans et j’ai écrit quelque chose sur mesure pour toi”, il n’y a pas beaucoup de questions à poser. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Une scène photographiée en novembre 2019 lors du tournage du film. On reconnaît, à l’avant, le comédien Gilles Renaud.

Comment décrit-il son Éloi ? « Plein d’adjectifs pourraient s’appliquer, répond-il : perdu, anxieux, hagard, renfermé, profondément blessé. Je dirais aussi fâché, entêté et peut-être, quelque part, incapable d’aimer à un niveau profond. »

Pour Emmanuel Schwartz, Éloi est « amputé depuis longtemps » d’une relation père-fils tissée de « déception en déception ». Mais à la suite d’une série d’évènements, notamment le visionnement du contenu d’une caméra lui permettant de voir son père une dernière fois, le jeune homme va se transformer.

« Ces évènements permettent une sorte de mue chez le personnage, dit Schwartz. Son passage hallucinatoire le plonge dans une sorte de rite initiatique qui lui permet d’entrer dans un deuil réel et de voir les qualités et l’ouverture d’esprit de son père. »

Et Diane…

Si la distribution est essentiellement composée d’hommes (Gilles Renaud, François Papineau, Martin Dubreuil, Reda Guerinik, Adrien Bletton), la comédienne Sarah-Jeanne Labrosse défend le personnage pivot de Diane. Oui, comme la déesse de la chasse. La comédienne défend un être mystérieux, oscillant dans un large spectre qui va de la simple « fille de… » à un personnage mythologique.

« Le personnage de Sarah-Jeanne joue la figure de la déesse avec toutes ses caractéristiques : farouche, intrigante, attirante mais aussi effrayante, dit Albéric Aurtenèche. J’ai voulu en faire un personnage de femme forte. »

Pour Emmanuel Schawartz, Diane représente « la passeuse, la gardienne du temple », celle par qui et avec qui Éloi trouvera le moyen de franchir des étapes de vie importantes.

« Diane fait partie de ces gens qui jouent un rôle important dans nos existences, dit-il. Mais qui, avec 10, 20 ou 30 ans de recul, ont moins d’impact sur nous. »

Autrement dit, des gens, hommes et femmes phares, qui aident à devenir plus indépendant et maître de son âme.

C’est la grâce que l’on souhaite à Éloi.

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