Son cinéma est apprécié depuis deux décennies, mais Emmanuel Mouret a connu une vraie consécration grâce à son dixième long métrage, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Camélia Jordana, Niels Schneider, Émilie Dequenne et Vincent Macaigne modulent cette fois les partitions qu’a écrites un cinéaste dont l’œuvre entière est vouée à dépeindre la complexité des sentiments.

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Comme deux facettes souvent contradictoires des individus, déchirés entre leurs principes et leurs actions. Dans ses notes d’intention, Emmanuel Mouret explique d’ailleurs comment le titre de son nouveau long métrage lui est venu à l’esprit : « Il évoque pour moi un des grands plaisirs du cinéma, celui qui consiste à confronter un personnage à ses paroles : fera-t-il ce qu’il a dit ? Est-il vraiment celui qu’il prétend être ? J’aimerais que ce film soit une ode à notre inconsistance. À une époque où nous sommes constamment, sévèrement, appelés à être cohérents, à mettre en rapport nos paroles et nos actes, je prends le pari de la douceur et de l’indulgence plutôt que celui de l’accusation. »

Grâce à des œuvres comme Changement d’adresse, Un baiser s’il vous plaît, L’art d’aimer ou, plus récemment, Mademoiselle de Joncquières, qui lui a aussi valu un beau succès, Emmanuel Mouret occupe une place à part dans le cinéma français. Digne héritier de Sacha Guitry et d’Éric Rohmer, mais aussi de Charlie Chaplin et de Buster Keaton, le cinéaste mise avant tout sur les dialogues et l’élégance des sentiments, qu’il explore aussi parfois dans leur gravité.

« Le scénario de Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait a été écrit avant celui de Mademoiselle de Joncquières, explique Emmanuel Mouret lors d’un entretien accordé à La Presse. Le tournage s’est donc nourri de l’expérience vécue avec Mademoiselle de Joncquières, car on tient toujours compte des choses qu’on a essayé de faire dans le film précédent. Je n’ai cette fois pas hésité à demander au spectateur beaucoup d’attention, mais moins que pour un film de Christopher Nolan, quand même ! J’ai aussi eu envie d’une mise en scène un peu plus sophistiquée, avec des plans séquences, un grand travail sur le cadre, l’utilisation du format scope. J’ai essayé de pousser ma démarche encore plus loin sur ce plan. »

Niels Schneider, apprenti romancier

Retenu dans la sélection officielle du Festival de Cannes l’an dernier, en lice dans 13 catégories à la cérémonie des Césars, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait relate l’histoire de Maxime, incarné par Niels Schneider. Apprenti romancier en panne d’inspiration, le jeune homme vient séjourner à la maison de campagne de son cousin François (Vincent Macaigne), qu’il n’a pas vu depuis longtemps. À cause de circonstances imprévues, Maxime se retrouve plutôt seul pendant quelques jours en compagnie de Daphné (Camélia Jordana), la compagne de son cousin, enceinte de trois mois. La rencontre gênée entre ces deux inconnus prend progressivement son envol quand Maxime confie à Daphné son intention de raconter dans un bouquin des histoires sentimentales, en commençant par les siennes. L’acteur franco-québécois, admiratif du cinéma d’Emmanuel Mouret, a d’ailleurs joint lui-même le cinéaste pour demander à être reçu en audition, même si, d’emblée, ce dernier ne l’envisageait pas du tout dans la peau de Maxime.

PHOTO FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

Niels Schneider et Camélia Jordana dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, un film d’Emmanuel Mouret

« Au départ, je pensais vraiment que le rôle n’était pas pour lui, reconnaît-il. J’aime beaucoup Niels comme acteur, mais j’avais l’impression que sa prestance naturelle n’était pas en phase avec le personnage.

Au fil des semaines, j’ai vu beaucoup de comédiens, sans trouver ce que je recherchais. Alors, je me suis dit : pourquoi ne pas essayer ? Quand j’ai fait une lecture avec lui, j’ai trouvé ça vraiment bien. Cela prouve qu’on se trompe parfois, et que la période d’ajustement du casting nous permet d’être surpris.

Emmanuel Mouret

« Pour Mademoiselle de Joncquières, j’avais aussi pensé que de donner le rôle à Cécile de France ne serait pas une bonne idée ! », poursuit-il.

Lors d’un entretien qu’il nous avait accordé l’automne dernier, Niels Schneider avait décrit ainsi son enthousiasme : « Le cinéma d’Emmanuel emprunte un peu toujours la forme d’un polar amoureux. J’aime la manière dont il utilise le langage, la parole, et toutes les contradictions et les malentendus qui en découlent. Dans ce film-ci, je trouve assez beau comment les personnages se révèlent. Le scénario est extrêmement raffiné, mais très structuré aussi. Ça donne un film à tiroirs vraiment épatant. Il y a quelque chose de très léger au départ, mais une gravité s’installe sans qu’on s’en rende compte, sans que jamais l’élégance ne se perde. »

Une réalisation plus ambitieuse

L’envie d’une réalisation un peu plus ambitieuse a par ailleurs accentué le plaisir que prend le cinéaste à faire du cinéma. On remarque aussi une utilisation accrue de la musique – des morceaux de Chopin, Schubert, Debussy, Haydn, Mozart, Satie et bien d’autres ponctuent le récit –, laquelle rehausse le caractère lyrique de l’histoire qu’il raconte.

PHOTO YOHAN BONNET, ARCHIVES AGENCE FRANCE PRESSE

Vincent Macaigne, Jenna Thiam, Niels Schneider, Camélia Jordana et Emmanuel Mouret ont présenté Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait au 13e Festival du film francophone d’Angoulême, tenu l’an dernier.

« La mise en scène fait ressortir le dialogue et le met en relief, assure Emmanuel Mouret. Le but est de rendre l’ensemble le plus vivant et le plus captivant possible, tout en misant sur la retenue. En tant que cinéphile, j’ai beaucoup aimé le cinéma des années 1930 et 1940, où les personnages se retiennent parce qu’ils ont le souci des autres. Ils essaient d’être élégants, tout en voulant satisfaire leurs désirs et leurs sentiments. La musique relève aussi d’un choix très affirmé. Elle est là pour accélérer le ressenti. Je dis souvent que la musique est une sorte de voix hors champ, comme un commentaire d’ordre purement sentimental, qui révèle bien des choses à propos des personnages. J’avais aussi envie d’un film romanesque. »

Même si Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait est le 10e long métrage qu’il propose, en un peu plus de 20 ans de cinéma, Emmanuel Mouret rejette d’un revers de main toute notion de maturité.

« J’ai toujours l’impression d’être un étudiant en cinéma qui essaie de faire des films, affirme le cinéaste. J’espère ne pas atteindre la maturité, car une fois qu’on dit qu’un fruit est mûr, il commence à pourrir ! »

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait prendra l’affiche en salle le 16 avril.