C'était un guet-apens. On a même retracé le conte des frères Grimm Le roi grenouille pour savoir un peu de quoi il en retourne. Plusieurs ont même cru à un spectacle pour enfants...

Ça commence par une grenouille qui plonge dans un puits pour aller chercher la balle perdue d'une princesse. Un service accompagné d'une demande : la permission de rentrer avec elle. La princesse, n'y croyant pas, accepte. À son grand dam, la grenouille la suit. Ils négocient, elle obtempère. Au moment de se coucher, la grenouille saute dans le lit de la princesse. Elle se fâche. La lance contre le mur. Et c'est là qu'elle se transforme en prince.

Mais la nouvelle création de James Thierrée n'a à peu près rien à voir avec ce conte, qui lui a apparemment servi d'inspiration. Enfin, si on veut, on peut y voir des parallèles. Si on veut, ça peut être ça. Ça peut aussi être la fable de la grenouille et du rat! C'est là la grande force de ce créateur inclassable. Celle de plonger le spectateur dans un monde de bric-à-brac et de créatures étranges et de lui laisser l'entière liberté de se conter sa propre histoire.

Si vous aimez les spectacles linéaires où tout est clairement dit, vous risquez d'être déçu. Sinon, le théâtre de James Thierrée peut être un formidable voyage dans l'imaginaire.

La tombée du rideau est grandiose. Une chanteuse drapée dans l'étoffe de velours apparaît. Est-ce qu'elle symbolise le théâtre même? Peut-être. En tout cas, sa voix est sublime. Les personnages entrent en scène. Peut-être une fratrie, allez savoir. James Thierrée en fait partie. Son alter ego est installé devant un piano. Juste derrière on peut voir un escalier en colimaçon suspendu, là un immense plafonnier en pièces détachées où se love une créature mystérieuse. Et devant, un petit bassin d'eau (où se trouve une grenouille?).

Voilà un peu le terrain de jeu du petit-fils de Charlie Chaplin, qui n'hésite pas cette fois - contrairement à sa pièce Raoul - à réinterpréter (à sa façon, bien sûr) le théâtre physique muet de son célèbre grand-père.

Quand il tente de se défaire d'une des danseuses interprètes (un gag qui reviendra quelques fois), c'est Charlot à s'y méprendre. Idem lorsqu'il étire son morceau au violon pour ne pas céder son instrument. Quand il tente de sauver une main dans le bassin d'eau ou lorsqu'il tente de dégager son front de son immense coiffe, l'humour absurde de Chaplin est omniprésent. Le corps désarticulé, les gestes saccadés, l'acteur, danseur et mime se trouve dans cet univers comme un poisson dans l'eau. Pour une rare fois, on sent que ce rôle-là est parfaitement assumé.

Le legs de ses parents est également bien présent. Si vous avez vu le Cirque invisible de Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin (elle est même créditée pour la conception du bestiaire), vous reconnaîtrez leurs créatures imaginaires - une carapace recouverte d'assiettes ou encore un immense poisson qui avale tout sur son passage. On nage ici en plein onirisme. Avec une machinerie steampunk fameuse, qui donne à cette pièce (où il n'y a pas de cirque à proprement parler) des airs de cabinet de curiosités.

Finalement, quand on s'abandonne à ce voyage extraordinaire, façon Jules Vernes, le plaisir qu'on tire de cette pièce peut être assez jouissif. Si vous avez été déboussolé, vous ferez plaisir à James Thierrée, car c'est exactement son but. Alors, est-ce que la grenouille avait raison? Oui et non. Faudrait en discuter. Faudrait aussi savoir qui est la grenouille...

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Jusqu'au 7 octobre à la TOHU.