Contre toute attente, la logique marchande est au rendez-vous, cette année, pour la 10e cérémonie des prix Jutra. Les 3 p’tits cochons, le film ayant recueilli le plus de mises en nomination (13), est aussi celui qui a été le plus populaire au box-office québécois l’an dernier. Ce qui ne signifie pas pour autant que la comédie de Patrick Huard sera le film qui récoltera le plus de statuettes. Là-dessus, ne pariez pas l’argent de l’épicerie de la semaine, rien n’est moins certain.

Avec derrière la caméra un favori du public (Patrick Huard) et fort d’un thème (l’infidélité) qui touche beaucoup de monde, Les 3 p’tits cochons a fait le plein de spectateurs en 2007, avec des recettes de près de 4 millions $. Une performance qui lui a permis de terminer en sixième position du classement des films les plus lucratifs de l’année, devant les blockbusters américains Transformers, La vengeance dans la peau et 300.

Divertissant, parfois drôle, mais maladroit aussi, Les 3 p’tits cochons n’est pas notre favori pour remporter le Jutra du meilleur film, pas plus que L’âge des ténèbres et La brunante.

Tout a été dit sur le film de Denys Arcand depuis sa première controversée à Cannes. Son film n’a pas la même profondeur que Le déclin de l’empire américain et Les invasions barbares. De son côté, le film du vétéran Fernand Dansereau, La brunante, offre quelques beaux moments, mais rien pour parler d’un film marquant.

Reste Continental, un film sans fusil, le plus dangereux concurrent des 3 p’tits cochons, avec huit mises en nomination. C’est à lui que Le Soleil décerne le Jutra du meilleur film de l’année, ainsi que celui du meilleur scénario original. Tous ne communient pas au même état d’esprit, lui reprochant son rythme trop lent et son apologie de la banalité du quotidien, mais force est d’admettre que le premier long métrage de Stéphane Lafleur arbore une signature particulière et originale.

Émond meilleur réalisateur

Le Jutra du meilleur réalisateur offre une anomalie cette année. Malgré les 13 mises en nomination décrochées par son film, Patrick Huard ne réussit pas à se classer dans cette catégorie. C’est ce qu’on appelle une rebuffade. C’est Bernard Émond (Con­tre toute espérance) qui prend sa place.

La lutte devrait se jouer entre le jeune Lafleur et le vétéran Émond. Un choix pas évident. Malgré les immenses qualités de Continental, un film sans fusil, on verrait bien le second être récompensé pour son émouvant travail. Contre toute espérance a beau être d’une grande noirceur, le film n’en possède pas moins une âme, une vraie.

Contre toute espérance ne serait pas ce qu’il est sans la renversante performance de Guylaine Tremblay, en femme forcée de dire adieu à ses rêves en raison de la maladie de son mari. En toute logique, c’est à elle que devrait revenir le Jutra de la meilleure actrice, devant Sylvie Léonard (L’âge des ténèbres), Isabel Richer (Les 3 p’tits cochons) et Karine Vanasse (Ma fille mon ange).

Le Jutra du meilleur acteur devrait se jouer entre Roy Dupuis (Shake Hands with the Devil) et Marc Labrèche (L’âge des ténèbres), au détriment de Claude Legault (Les 3 p’tits cochons) et Guillaume Lemay-Thivierge (Nitro), deux candidats qui livrent des performances honnêtes, mais pas mémorables.

Dans Shake Hands with the Devil (J’ai serré la main du diable), sur l’enfer du génocide rwandais, Dupuis est complètement habité par son personnage. Il ne se contente pas de jouer le lieutenant-général Roméo Dallaire, il est véritablement Roméo Dallaire. Aussi touchant et authentique soit Marc Labrèche, dans un contre-emploi, il ne peut lui ravir le prix.

Deux noms auraient amplement mérité de figurer dans cette catégorie. D’abord Denis Trudel pour son rôle de fossoyeur soupçonné du meurtre d’une adolescente, dans La lâcheté, et Maxime Desjardins-Tremblay, 14 ans, le jeune amateur de lutte désœuvré du Ring.

Leboeuf et Bossé

Même si le film est sorti depuis plus d’un an, les votants ne devraient pas avoir oublié la performance de la jeune Laurence Leboeuf dans Ma fille mon ange. C’est à elle que devrait revenir le Jutra du meilleur second rôle féminin, devant Suzanne Clément (La brunante), Véronique Le Flaguais (Surviving My Mother) et Julie Perreault (Les 3 p’tits cochons).

Notre choix pour le Jutra du meilleur second rôle masculin est Réal Bossé, pour son rôle tragiquement drôle de vendeur d’assurances en transit dans une chambre d’hôtel, dans Continental, un film sans fusil.

Zéro en 13 pour Les 3 p’tits cochons

Le tableau final de la soirée des Jutra devrait se lire comme suit : quatre prix pour Continental, un film sans fusil (film, scénario, second rôle masculin et montage), ex-aequo avec Soie (photographie, en plus de ceux déjà décernés pour la direction artistique, le son et les costumes); deux prix pour Contre toute espérance (réalisateur et actrice); et un chacun pour J’ai serré la main du diable (acteur), Ma fille mon ange (second rôle féminin), Nitro (musique), L’âge des ténèbres (maquillage, déjà décerné) et Ma tante Aline (coiffure, déjà décerné).

Et Les 3 p’tits cochons? Direction abattoir : 0 en 13.