Jusqu'à la fin de juillet, nous découvrons un film méconnu du répertoire Éléphant, voué à la mémoire du cinéma québécois.

TROUBLE-FÊTE (1964)

Drame de Pierre Patry

Avec Lucien Hamelin, Gilbert Chénier et Yves Létourneau

Ce film-là est étonnant, pratiquement un chaînon manquant dans la cinématographie québécoise. Premier long métrage de Pierre Patry, qui aura une courte mais prolifique carrière de cinéaste et de producteur - on lui doit notamment le film Caïn, dont la langue irritera assez Michel Tremblay et André Brassard pour qu'ils écrivent en joual les fameuses Belle-Soeurs. Trouble-fête, sorti en 1964, dont l'affiche annonce avec enthousiasme « Faites votre choix, les jeux sont faits, la Révolution tranquille est en marche », serait inspiré de troubles au collège André-Grasset, au cours desquels un élève avait été renvoyé parce qu'il avait refusé d'aller à la messe...

On compte au générique des noms qui deviendront connus : Guy Fournier et Jean-Claude Lord ont collaboré au scénario, Jean-Claude Labrecque a participé à la direction photo et, chez les acteurs, on y voit un petit rôle tenu par Yvon Deschamps, un très, très, très jeune Yves Corbeil, comme Louise Rémy, une figuration de Pierre Curzi, un caméo de Jean Duceppe, ainsi qu'une participation de Percy Rodrigues, acteur montréalais d'origine africaine qui aura une belle carrière à la télé américaine, dans le rôle d'un policier noir !

Les premiers films de Claude Jutra, qui était l'ami de Patry, seront davantage retenus dans l'histoire cinématographique (jusqu'à sa déchéance récente) que Trouble-fête, qui aura pourtant été un vrai succès au box-office à l'époque (plus de 300 000 entrées), et dont on dit qu'il a carrément relancé l'industrie du film au Québec. Malgré ses sympathiques maladresses, c'est une vraie pièce d'anthologie, traversée par une réelle ambition. Le héros du film, Lucien (Lucien Hamelin), leader moins tête brûlée que les autres, semble emprunter sa gestuelle et sa diction au René Lévesque qui animait Point de mire à la fin des années 50. On y sent une jeunesse fébrile, sur le point de faire basculer le pouvoir du clergé, et qui se rebelle de plus en plus envers les pressions de la religion sur sa vie. Dans une scène fascinante, la bande de garçons turbulents décide carrément d'humilier son prof, qui ne se défend pas, la tête baissée, comme impuissant, préfiguration à un clergé qui perdra complètement sa domination sur la société.

On sent un esprit beatnik aussi dans cette histoire décousue, qui se terminera en queue de poisson lorsque Lucien sera harcelé par un vieil homme gai (Camille Ducharme) - on ne sait trop pourquoi ! -, et une influence du cinéma de la Nouvelle Vague, mais avec des plans parfois très « hollywoodiens », impressionnants lorsqu'ils sont réussis, des styles qui disparaîtront bientôt au profit du cinéma-vérité et du réalisme social. On regarde d'un oeil étonné les longs plans-séquences de virées nocturnes dans un Montréal clinquant, où l'affichage est partout bilingue.

Créé dans un esprit coopératif, avec peu de budget et presque du bénévolat, Trouble-fête est un joyeux fourre-tout qui réussit à saisir l'air du temps : une jeunesse qui s'éveille à sa propre puissance, et qui révolutionnera bientôt le Québec.

Trouble-fête est offert en location sur Éléphant et sur iTunes

Image fournie par Éléphant

Affiche de Trouble-fête