Nouveau coup de théâtre dans la saga Kanata! Le Théâtre du Soleil a annoncé mercredi que le spectacle mis en scène par Robert Lepage sera présenté à Paris. En accord avec son metteur en scène, la pièce a désormais un nouveau titre: Kanata - Épisode I - La Controverse.

Ce titre indique que l'oeuvre sera créée dans une version remaniée, sans doute pour tenir compte des critiques de membres des communautés autochtones. La polémique avait forcé l'annulation de Kanata, le 27 juillet dernier.

À ce moment-là, Ariane Mnouchkine avait promis «de répondre, avec les armes non violentes de l'art théâtral, à cette tentative d'intimidation définitive des artistes de théâtre». Or, après mûre réflexion, la directrice de la prestigieuse compagnie de théâtre va ressusciter Kanata, aux mêmes dates que prévues, dès le 15 décembre, à La Cartoucherie, dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.

Pour l'instant, aucune indication ne laisse croire que Kanata traversera l'Atlantique. La Presse a fait des demandes d'entrevues auprès de la compagnie de Robert Lepage, Ex Machina, ainsi qu'au Théâtre du Soleil. En vain.

«Manifeste» pour la liberté artistique?

Ce matin, la compagnie dirigée par Ariane Mnouchkine a publié un texte aux allures de manifeste culturel sur son site internet. Le communiqué de presse fustige les «procès d'intention» et les accusations d'appropriation culturelle dont ont fait l'objet les artisans de Kanata.

«Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil sont arrivés à la conclusion que Kanata, le spectacle en cours de répétition, ne violait ni la loi du 29 juillet 1881 ni celle du 13 juillet 1990 ni les articles du Code pénal qui en découlent, en cela qu'il n'appelle ni à la haine, ni au sexisme, ni au racisme ni à l'antisémitisme; qu'il ne fait l'apologie d'aucun crime de guerre ni ne conteste aucun crime contre l'humanité; qu'il ne contient aucune expression outrageante, ni terme de mépris ni invective envers une personne ou un groupe de personnes à  raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée.»

Plus loin, le communiqué affirme que la direction du Théâtre du Soleil ne veut pas «céder aux tentatives d'intimidation idéologique en forme d'articles culpabilisants, ou d'imprécations accusatrices, le plus souvent anonymes, sur les réseaux sociaux. (...) Après un déluge de procès d'intention tous plus insultants les uns que les autres, (les artistes) ne peuvent ni ne doivent accepter de se plier au verdict d'un jury autoproclamé qui, refusant obstinément d'examiner la seule et unique pièce à conviction qui compte c'est-à-dire l'oeuvre elle-même.»

Réactions d'Ex Machina

En juillet, la compagnie de Québec avait dû se retirer du projet, car elle n'était plus «en mesure d'y participer financièrement en raison du retrait de coproducteurs nord-américains inquiétés par la controverse» autour de Kanata. Aujourd'hui, par voie de communiqué mercredi après-midi, Ex Machina affirme que le Théâtre du Soleil va produire Kanata - Épisode 1 - La Controverse «avec ses propres moyens et avec l'aide de Robert Lepage qui assurera la mise en scène sans rémunération et à titre personnel. Monsieur Lepage étant actuellement en création à Moscou, il ne lui sera pas possible d'accorder d'entrevues», écrit-on.

Par ailleurs, joint au téléphone, Michel Tremblay s'est réjouit de la nouvelle. «Bravo au Théâtre du Soleil pour cette décision courageuse! Je trouve ça très brillant, très intelligent, d'avoir décidé d'incorporer la controverse à la trame du spectacle.»

Mardi dernier, l'auteur et dramaturge Michel Tremblay avait confié à La Presse canadienne son inquiétude à la suite des controverses ayant mené à l'annulation de deux spectacles de Robert Lepage - SLĀV  et Kanata - parlant même de «censure».

Lisée salue une victoire de la liberté artistique

S'il n'est toujours pas indiqué que la pièce sera présentée au Québec, cette nouvelle émanant de Paris a tout de même réussi à se frayer un chemin jusque dans la campagne électorale québécoise.

De passage à Rivière-du-Loup dans le Bas-Saint-Laurent, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a salué une victoire de la liberté artistique.

«On va pouvoir voir, juger, détester ou aimer Kanata. C'est une victoire de la liberté artistique sur les censeurs», a dit le chef péquiste.

Il y a quelques jours, alors qu'il présentait sa plateforme culturelle, M. Lisée s'est aussi dit ouvert à financer la production théâtrale si Robert Lepage ne trouvait pas de nouveau producteur (https://bit.ly/2MOkHQX).

«Tous ceux qui disent que si tu n'as pas participé à un événement, si tu n'es pas de la bonne couleur, si tu n'es pas de la bonne religion tu ne peux pas parler de ça [ont tort]. La liberté artistique, c'est l'artiste qui peut se saisir de n'importe quel aspect de la grande richesse humaine, la retravailler, l'interpréter et en faire une création qui sera soumise à la critique», a conclu mercredi le chef du PQ.

- Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse, à Rivière-du-Loup