Créée à Paris l'automne dernier, la nouvelle pièce d'Annick Lefebvre, Les barbelés, ouvre la saison du Quat'Sous. La dramaturge engagée termine aussi ColoniséEs, une pièce inspirée de la vie de Pauline Julien et de Gérald Godin qui sera présentée en janvier, et travaille à une adaptation de J'accuse pour la France.

Annick Lefebvre a émergé comme une dramaturge majeure au Québec et dans la francophonie en cinq ans seulement. À la suite d'un été chaud en matière de «liberté d'expression», la pièce Les barbelés de cette porte-parole assumée de la place des femmes au théâtre interroge justement... la prise de parole. Entre l'urgence de dire et le mutisme total, l'autrice de J'accuse suggère qu'il faudrait, peut-être, écouter davantage.

Les barbelés intérieurs

Comme idée de départ, une métaphore : des barbelés se développent dans le corps humain, nous amenant au mutisme total. L'urgence de parler avant de se la fermer à jamais. Mais aussi, demande la dramaturge - qui a secoué les colonnes du temple dans le magazine Jeu à propos de l'absence de dramaturges et de metteures en scène de la relève à Espace Go en 2016 -, quand faut-il parler et quand faut-il se taire?

«Je pousse à l'extrême l'un de mes thèmes privilégiés: le pourquoi de la prise de parole. [...] La pièce pose beaucoup la question de la qualité de l'écoute. Si tu écoutes pour vrai, tu ne prendras pas la parole à mauvais escient et tu ne brimeras pas l'autre de sa propre parole. Il y a des situations où, forcément, quand on prend la parole, on va heurter des gens. Peut-être que la pièce aura une connotation différente après l'été qu'on a eu.»

Censure

Annick Lefebvre a évidemment suivi avec intérêt le sort des pièces de Robert Lepage Slāv et Kanata. Entre censure et liberté d'expression, la dramaturge pose un regard différent sur ces événements récents.

«J'ai l'impression qu'il n'y a pas eu de censure. La censure, c'est quelque chose de violent. Nous ne sommes pas dans une société qui vit avec la censure. Il y a eu un manque de communication. Ce dialogue, qui est souhaité de tous entre les communautés, ne brime tellement pas ma liberté d'expression. Au contraire, ça lui fait prendre de l'extension. Ça me donne des possibilités que je ne pensais pas explorer. Il y a eu des débordements dans le discours des deux côtés.»

Femmes pour l'équité en théâtre

En 2016, Annick Lefebvre a créé une onde de choc qui a inspiré le mouvement Femmes pour l'équité en théâtre et commencé à faire bouger un tant soit peu les choses. Se sent-elle prisonnière de son aura de «passionaria»?

«Le piège serait de devenir la caricature de moi-même. Qu'est-ce qui motive ma prise de parole? Est-ce que c'est devenu un réflexe chez moi parce qu'on s'attend à ça ? Est-ce que je deviens du bon bétail à montée de lait et à prise de position? Je dois me poser ces questions-là. Quand j'ai écrit J'accuse, on m'a proposé de faire ce coup de gueule dans Jeu. Il y a quelque chose en moi qui me donne envie de prendre position. Je suis privilégiée qu'on m'accorde des tribunes. J'essaie de les utiliser à bon escient et avec humilité. J'ai réalisé que ça pouvait heurter des gens, mais je n'ai pas envie de me taire pour autant.»

Wajdi Mouawad

En raison des contraintes du Théâtre de la Colline à Paris, le processus de création des Barbelés n'a pris que quatre mois d'écriture, de jeu et de mise en scène entre cinq complices : l'autrice, la metteure en scène Alexia Bürger, l'interprète Marie-Ève Milot, la conseillère dramaturgique Sara Dion et l'assistante Stéphanie Capistran-Lalonde.

«Wajdi Mouawad devait programmer Les barbelés au printemps 2018, mais il m'a rappelée pour me dire que ce serait finalement à l'automne 2017. Nous avons eu six mois de moins pour travailler. J'avais le thème des Barbelés en tête depuis 12 ans, mais, là, j'étais moi-même dans l'urgence de prendre la parole. J'écrivais une scène et Marie-Ève la prenait et on répétait. On fixait les choses tout de suite. L'urgence du personnage est rapidement devenue la nôtre.»

ColoniséEs

Inspirée par la vie de Pauline Julien et de Gérald Godin, Annick Lefebvre travaillait depuis deux ans sur sa pièce ColoniséEs, présentée en janvier prochain et faisant partie de la programmation du 50e anniversaire du Théâtre d'Aujourd'hui, quand elle a fait une parenthèse pour Les barbelés.

«C'était important pour moi de présenter cette pièce dans le cadre du 50e anniversaire. C'est le 20e anniversaire aussi de la mort de Pauline Julien. J'avais envie de parler de l'histoire du Québec des 50 dernières années. Pauline et Gérald sont les narrateurs de cette histoire des luttes sociales. Je mets leur destin en parallèle avec celui d'une waitress qui a vécu le printemps érable et qui interroge le passé. Tant qu'à être dans une saison anniversaire, j'essaie de rendre hommage à Michel Tremblay.»

Antigone et après...

L'année théâtrale d'Annick Lefebvre ne se termine pas avec ColoniséEs; elle écrit aussi une adaptation d'Antigone avec Pascale Renaud-Hébert et Marjolaine Beauchamp qui sera mise en scène par Olivier Arteau à Québec en mars. Après, elle terminera l'adaptation de J'accuse pour la France et... retour au Théâtre de la Colline avec Wajdi Mouawad!

«Ils m'ont offert une nouvelle carte blanche avec une structure plus québécoise. Ça va être fou parce que je ne vais pas écrire ce projet toute seule. C'est ma première pièce à quatre mains. C'est un immense défi. Il y aura une grande distribution, des actrices de plusieurs générations.»

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Les barbelés est à l'affiche du Quat'Sous du 4 au 26 septembre.