Un invité de La Presse prend position sur des sujets qui marquent son actualité. Cette semaine: Dominic Champagne.

Dominic Champagne et ses complices de Cabaret neiges noires se sont retrouvés à Montréal lundi pour célébrer les 25 ans de cette pièce phare du théâtre québécois. Pour l'occasion, les Éditions Somme toute lancent une nouvelle édition du livre de cette oeuvre hybride, écrite à huit mains. Pour l'occasion, le metteur en scène sort de six mois de congé sabbatique pour commenter l'actualité.

Le «Bonjour/Hi» dans les commerces de Montréal?

Contre

«Je crois qu'il faut toujours protéger le français au Québec. J'arrive d'Argentine; ce pays est un melting-pot culturel, mais tout le monde parle espagnol. En Amérique du Nord, le français est menacé par l'attrait de l'anglais. Notre société a besoin de se donner des balises. Je ne veux pas passer pour un nationaliste frileux et fermé aux autres. Je demeure ouvert sur le monde et je parle trois langues. Le débat sur la charte des valeurs a inutilement exacerbé des sentiments xénophobes au Québec. Au plus fort du débat sur la laïcité, je travaillais à Montréal avec des Juifs anglophones et des Marocains musulmans sur un projet en français. Et il y a eu zéro conflit. Montréal, c'est aussi un success-story de rencontres entre diverses langues et cultures.»

Vendre des fleurons québécois aux intérêts étrangers?

Pour... et contre

«C'est sûr que je n'ai pas accueilli la vente du Cirque du Soleil en sautant de joie. L'idéal aurait été que l'entreprise reste dans la famille de Guy Laliberté. Mais en même temps, est-ce que ça va mettre en péril la création? Le combat de l'artiste, c'est de préserver le territoire de la création. Guy Laliberté a donné aux artistes québécois des moyens de se faire connaître à l'étranger. Des Québécois qui créent un spectacle sur les Beatles à Las Vegas et surprennent les Britanniques [Dominic Champagne a mis en scène Love]. Toutefois, si l'on est fier du succès des Québécois dans le monde, il ne faut pas s'interdire de faire des affaires avec des intérêts étrangers. En même temps, si un siège social déménage ailleurs, est-ce que les décisions vont tenir compte de la création québécoise? C'est difficile de trancher...»

Le débat sur la féminisation des mots?

Pour

«Il y a un mot qu'on comprend, reconnaît ["patrimoine"], et un autre qui nous provoque ["matrimoine"]. Mais les mots ne sont pas innocents: ils sont porteurs d'une réalité. L'équité salariale n'est toujours pas réalisée dans une société aussi émancipée que le Québec. Alors, je trouve ça triste que le débat sur la féminisation de certains mots soit tourné en ridicule. Au Québec, on est assez sectaire: on doit rapidement choisir son camp. Selon moi, Manon Massé fait une contribution extraordinaire à la vie politique québécoise ! Je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'elle avance, mais on n'évolue pas socialement si on se braque. Le choc des idées, c'est fécond pour une société. Au bout du compte, ce choc peut créer quelque chose de beau.»

L'omniprésence de l'opinion?

Contre

«Je suis saturé du babillage et du bruit ambiant. Il y a trop d'images, d'opinions, de chapelles... Et il est difficile d'en faire abstraction. La vitesse avec laquelle on consomme puis rejette l'information est folle. Et je ne suis pas plus sage que les autres. J'ai moi-même contribué au bruit ambiant. Je suis allé marcher dans le désert et les montagnes pour m'en sortir. Je suis (toujours) en deuil du printemps érable, de ce grand mouvement de solidarité porté par notre jeunesse. Comme société et artistiquement, on n'a pas été capable de récolter les fruits de ce mouvement collectif.»

Une nouvelle production de Cabaret neiges noires?

Pour 

«Je serais très curieux de voir ça. Cabaret neiges noires s'inscrit dans une époque: la fin des années 80, le début des années 90, le blues post-référendaire, l'effondrement des grandes utopies du XXe siècle. La génération X, on a vu le party et la fin du party [des baby-boomers]. Et le public avait besoin d'entendre ce délire jubilatoire, autant dans le fond que dans la forme. C'est une des plus belles familles théâtrales que j'ai connues dans ma carrière. Je garde le souvenir d'un grand moment festif, de joie, de liberté et de folie. Ce qui se passait avec Cabaret neiges noires nous dépassait.»