En évoquant son enfance en Algérie, Bashir Lazhar dit que sa mère est « la femme qui [lui] a donné le courage de devenir un homme ».

Du courage, il lui en faudra beaucoup, à ce brave monsieur Lazhar. D'abord pour s'exiler en laissant femme et enfants derrière lui. Puis pour recommencer sa vie au Québec et remplacer au pied levé une enseignante du primaire qui s'est pendue dans sa classe. Finalement, pour s'adapter à une société, un système, en subissant les préjugés des collègues, parents et élèves.

Quelle bonne idée du Théâtre d'Aujourd'hui de recréer ce texte ! Cinq ans après le succès du film de Philippe Falardeau, une décennie après la mise au monde de ce solo par Daniel Brière, avec le regretté Denis Gravereaux, la production signée Sylvain Bélanger est une réussite à tous points de vue : jeu, mise en scène, conception scénique.

Si vous avez une pièce à voir cet automne, c'est celle-ci !

Issu du monde de la musique rap, vu au cinéma (L'ange de goudron) et à la télévision (L'imposteur), Rabah Aït Ouyahia fait ici, à 42 ans, son baptême des planches. L'acteur est tout simplement splendide de charisme, de présence et de vérité !

EST-CE AINSI QUE LES HOMMES VIVENT ?

On connaît le point de départ de l'histoire. Un homme d'origine algérienne est engagé dans une école comme professeur de sixième année, alors que la direction est encore sous le choc du suicide de l'enseignante qu'il remplace. Le choc des cultures, sa vision différente du monde de l'apprentissage ne l'aideront pas à s'intégrer à son nouveau milieu. Monsieur Lazhar se frottera à l'injustice et à la violence d'un pays « dangereusement en paix », pour citer Wajdi Mouawad.

On a souligné l'actualité criante de Bashir Lazhar, alors que l'Occident gère une crise des réfugiés sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Peut-être... Or, à notre avis, cette production prouve surtout que l'oeuvre est universelle et intemporelle. On peut changer le contexte, l'époque ou le pays, il restera toujours la solitude de l'étranger, l'isolement de l'homme blessé, celui qu'on ne voit pas, qu'on ne comprend pas... Pour la simple raison qu'on ne prend pas le temps de l'écouter.

ODE À L'AMOUR

« Silence, s'il vous plaît ! » Voilà l'une des répliques qui reviennent le plus souvent dans la bouche du professeur qui s'adresse à sa classe. En 2007, on a écrit que la pièce était le reflet des carences de notre système scolaire. C'est s'en tenir à l'anecdote. Bashir Lazhar est beaucoup plus qu'une pièce sur les ratés de la réforme, ou les difficultés de l'immigration... C'est une ode à l'amour, à la justice et à l'espérance ; une fable sur le dur apprentissage de la vie, peu importe notre âge ou notre origine.

Evelyne de la Chenelière a probablement écrit l'une des pièces québécoises les plus importantes des années 2000. 

Un doux appel à la compassion et à la dignité humaine. Malgré le rejet, le demandeur d'asile restera courtois et fier. « Il a toujours de la tenue », dit son interprète dans le programme, ajoutant que c'est « la condition de l'homme racisé » de devoir être irréprochable. Envers et contre tous.

Écrite en 2002, alors que l'auteure était jeune maman, la pièce évoque aussi, en toile de fond, les doutes de la maternité ; ce que la société réserve aux enfants de l'avenir. Et dans les mots et la personnalité chaleureuse de monsieur Lazhar, on trouve un peu de cette douceur maternelle associée au pays d'Albert Camus. Un pénétrant désir d'un monde meilleur.

Quelque part au fond de notre âme, nous sommes tous Bashir Lazhar.

Bashir Lazhar 

D'Evelyne de la Chenelière

Mise en scène de Sylvain Bélanger

Avec Rabah Aït Ouyahia

Au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui, jusqu'au 14 octobre

****1/2

Photo Valérie Remise, fournie par le Centre du Théâtre d’aujourd’hui

Ce solo est un baptême des planches pour Rabah Aït Ouyahia.