Composé de 11 spectacles présentés dans le cadre des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, le programme À nous la scène peine à attirer des spectateurs dans les théâtres montréalais. Le commissaire aux célébrations de la Société du 375e anniversaire de Montréal, Gilbert Rozon, se dit satisfait de l'offre artistique proposée, mais beaucoup moins des ventes de billets.

À quelques jours de la première représentation de Lucrèce Borgia par la Comédie-Française au Théâtre du Nouveau Monde, La Presse a joint la billetterie afin de réserver une trentaine de places au parterre. Au bout du fil, l'employée était catégorique: «Il n'y a aucun problème, c'est possible tous les soirs, sauf le 26 juillet [soir de la première médiatique].» Sur le site internet du TNM, il était également possible de réserver 10 billets côte à côte au parterre ainsi qu'au balcon pour toutes les représentations du 28 juillet au 4 août, et ce, à la veille de la première représentation prévue ce soir.

«Le contrat a été négocié à la mi-mai, c'est-à-dire à la dernière minute», a expliqué à La Presse un employé du TNM très au fait du dossier qui souhaite garder l'anonymat compte tenu de la relation d'affaires entre le théâtre et le producteur.

«Pour un spectacle d'une telle envergure, il aurait fallu régler les contrats à la fin janvier pour espérer être à temps dans l'échéancier de promotion.»

La mise en marché des billets a en effet été faite le 19 juin, alors que la Société des célébrations du 375e anniversaire annonçait la programmation d'À nous la scène. 

«C'est une tragédie, pas un spectacle grand public comme Le malade imaginaire. Il faut prendre le temps de faire la mise en vente de ce genre de pièce. En plus, ça a coûté une fortune de faire venir la Comédie-Française, et on demande aux spectateurs 126 $ le billet. Est-ce vraiment un cadeau de Montréal aux Montréalais pour le 375e? On n'aurait jamais dû dépasser les 75-80 $, comme c'est habituellement le cas au TNM», précise l'employé, qui s'inquiète de voir seulement une centaine de billets réservés pour certaines représentations. Le TNM agit seulement à titre de locateur dans la présentation de Lucrèce Borgia.

Gilbert Rozon optimiste

Interrogé à ce sujet, Gilbert Rozon reste confiant et compte sur le bouche-à-oreille pour stimuler les ventes après la grande première.

«Je pense voir et suivre tout ce qui se fait en théâtre. Ce n'est pas facile d'avoir la Comédie-Française. L'engagement a été pris en décembre, mais les contrats n'ont été signés que récemment», précise-t-il.

«La dernière fois que la Comédie-Française est venue, ça a pris quelques jours à démarrer, puis ils ont joué à guichets fermés. Le show est un évènement. Je pense que ça va bouger. Je me bats pour le faire savoir», affirme le commissaire aux célébrations.

«Mon job dans la vie est de programmer des shows, d'avoir foi en ce que je fais et de partager cette foi. Ça a pris une semaine avant que MozART Group décolle. Même chose pour Avudo

Depuis quelques années, le TNM propose régulièrement des productions estivales. Une période toujours florissante pour les salles montréalaises, dont le taux d'occupation moyen a frôlé les 80 % à l'été 2016.

Les billets se vendent toutefois plus cher que par le passé. Pour la pièce Lucrèce Borgia présentée par la Comédie-Française, les amateurs de théâtre ont le choix entre des places à 86 $ ou à 126 $.

«C'est assez cher en effet, lance Gilbert Rozon. Ce n'est pas une opération commerciale, car c'est trop gros. Tout ne peut pas être commercial dans la vie. Les Géants, ça ne l'était pas, par exemple, ni Avudo où tu racontes l'histoire de Montréal tous les soirs.»

Hier sur le site internet du TNM, Demain matin, Montréal m'attend et Wilson chante Montand, deux spectacles présentés l'automne prochain, affichaient déjà presque complet.

Molière, Shakespeare et... personne

La Presse a fait le même exercice au Rideau Vert afin de se procurer cette fois une quarantaine de places pour Molière, Shakespeare et moi, présentée dans le cadre d'À nous la scène.

«La pièce finit samedi, mais vous avez de la chance: il reste assez de billets pour mercredi et jeudi soir, mais aussi samedi après-midi», nous rassurait-on à la billetterie, mardi dernier.

Même constat dans la salle, où de nombreux sièges au parterre étaient restés vacants le soir de la représentation du 19 juillet.

La pièce Molière, Shakespeare et moi n'a donc pas fonctionné? «C'est exact. Vous allez rire de moi, mais on ne l'a pas programmée assez longtemps. Comme Dernier coup de ciseaux [au Gesù]. Mon erreur a été de ne pas la programmer pendant 30 soirs. Quand le bouche-à-oreille a commencé à fonctionner, on a arrêté», déplore Gilbert Rozon.

Présentée du 11 au 22 juillet au Gesù, également dans le cadre d'À nous la scène, Dernier coup de ciseaux n'a pas réussi à séduire non plus. La Presse a suivi sur le réseau Admission le taux d'occupation de la salle de cette production d'une compagnie française invitée, pour les représentations du 18 au 22 juillet. Selon nos calculs, elle n'a jamais dépassé les 46 % pendant cette période.

«Ça n'a pas bien été, en effet, explique Nathalie Courchesne, directrice des opérations et des communications du Gesù. C'est une exception pour le Gesù à cette période de l'année où on enregistre le taux d'occupation le plus haut de l'année. Là, on a même organisé des concours pour aider le producteur. La pièce a eu de très bonnes critiques dans les médias, mais cela n'a pas suffi à sauver la situation.»

«Il y a, je pense, une saturation dans l'offre, surtout en période de vacances et avec de très nombreux spectacles extérieurs qui ont eu lieu en même temps. Il y avait beaucoup trop de représentations pour le même spectacle.»

Un problème de marketing?

La Presse a demandé à la Société des célébrations du 375e anniversaire de Montréal de lui fournir les taux d'occupation des salles dont il est question. Mais cette dernière n'a pas souhaité les communiquer pour le moment.

«Nous ne donnerons aucun chiffre avant que le tout ne soit terminé. Nous sommes très satisfaits de la qualité de la programmation offerte aux amateurs de théâtre cet été à Montréal. Le 375e anniversaire de Montréal est une bonne occasion de tester des marchés et c'est ce que nous avons fait avec des offres variées», a fait savoir à La Presse Isabelle Pelletier, chef des relations de presse de la Société des célébrations du 375e anniversaire.

De son côté, Gilbert Rozon réfute la théorie selon laquelle la très grande offre en salle tout l'été pourrait expliquer les difficultés à écouler des billets.

«Je vais parler comme si j'étais mégalomane, mais on pourrait être trois ou quatre fois plus gros l'été à Montréal. On ne s'en rend juste pas compte. Dans notre tête, on se dit que c'est déjà gros. Mais ça se construit. L'offre va amener de nouveaux touristes, et Montréal va devenir incontournable», soutient le président de Juste pour rire.

Une vision assez ambitieuse pour une programmation censée souligner le 375e anniversaire de Montréal? «Oui, mais les promoteurs vont continuer. Tout le monde va avoir fait ses meilleurs chiffres à vie. La grande finalité, c'est d'être incontournable», lance le commissaire aux célébrations, qui donne lui-même un spectacle d'humour dans le cadre de Zoofest en ce moment.

Gilbert Rozon est-il satisfait de la vente de billets d'À nous la scène? «Pas sur tout. Mais je ne m'attendais pas à plus que ça. Je me disais qu'on allait installer quelque chose. Et ça prend du temps.»

«Est-ce que c'est très grave? On a présenté 175 évènements. Tu prends des risques sur 175 projets différents. On a fait des choses pour 14 personnes, d'autres pour 600 000. Tu dois regarder le total de ton impact», poursuit-il.

Gilbert Rozon entend continuer à proposer encore plus de spectacles. «Ça ne m'affole pas. C'est mon métier. Tu fais un travail pour toucher ceux qui veulent l'être. Je suis allé voir Dernier coup de ciseaux le week-end dernier. Les gens hurlaient de bonheur. Après, est-ce que j'ai fait un bon travail marketing? Ça, c'est une vraie question. Est-ce que je peux faire mieux en marketing? Est-ce que je m'y suis bien pris? J'ai fait mon gros possible», lance Gilbert Rozon avant de conclure: «On aurait peut-être dû annoncer ces spectacles plus tôt, faire plus de publicité. Mais il faut aussi reconnaître que c'est une organisation qui existe sur une période très courte et qui gère beaucoup de dossiers. Je ne veux blâmer personne de l'organisation. Au moment où on se parle, on peut presque crier victoire concernant le 375e: l'objectif était d'envoyer l'image que Montréal est de plus en plus une ville où ça bouge d'un point de vue créatif.»

Photo La Presse

Un spectateur a constaté que de nombreux sièges au parterre sont restés vacants le soir de la représentation du 19 juillet de Molière, Shakespeare et moi, au Rideau Vert.