Grandes retrouvailles entre Claude Poissant et Jean-François Casabonne pour L'avare de Molière. Le premier met en scène son premier Molière, le deuxième joue un premier rôle pour la quatrième fois avec quelqu'un qu'il connaît depuis 30 ans. L'un et l'autre ne sont pas avares de bons mots au sujet de l'autre et de l'un. Rencontre.

Il s'agit d'une cinquième collaboration professionnelle entre vous depuis la fin des années 80. Vous vous connaissez bien? 

Claude Poissant: Jean-François est un acteur d'exception et un poète. C'est un plaisir de se retrouver. C'est le quatrième rôle principal qu'il fait avec moi, après La vie est un songe, Le cygne et Signer

Jean-François Casabonne: Claude, dans ma vie, est très important comme point de repère. Au Conservatoire, il est venu faire une mise en scène et notre relation a continué. Tu te rappelles, Claude, on avait joué Signer, un collage des textes de Claude Gauvreau écrit par Anne Legault, avec d'immenses blocs de glace et des ventilateurs à Espace Go parce qu'il faisait trop chaud.

CP: Et je ne savais même pas qu'il avait joué Harpagon pour son audition au Conservatoire.

JFC: Mes deux scènes étaient le monologue de la cassette [petit coffre contenant bijoux ou argent] d'Harpagon dans L'avare et OEdipe Roi. Wajdi Mouawad m'a fait jouer dans OEdipe Roi en 1998 et, maintenant, Claude me demande L'avare

CP: Ça veut dire que t'étais assez lucide sur le genre de casting que tu avais. À part Sylvie Drapeau et Jean-François, ce sont tous des jeunes, d'ailleurs, dans la pièce. 

Des sources nous disent que chacun y garde son accent?

CP: Ça fait longtemps que je veux faire ça. Prendre Molière, Musset ou Marivaux et ne pas les faire dans la langue normative, en gardant notre accent, j'ai pas souvenir d'avoir vu ça. Des spectateurs français m'avaient déjà dit: «Pourquoi vous essayez de nous imiter?» Notre proposition a du relief, ce n'est pas lisse, mais c'est drôle.

JFC: Si Molière revenait parmi nous, je serais curieux de voir ce qui est plus près de sa langue à lui. Le français parlé en France maintenant ou celui qu'on parle ici? Peut-être que c'est le nôtre. La proposition est près de nous, mais il faut se faire aller le mâche-patates. C'est quand même musclé comme langue.

Est-ce que votre Harpagon fait penser à un certain président américain?

CP: Ce qu'il y a d'intéressant dans L'avare, c'est qu'il s'agit d'un personnage avare, orgueilleux, manipulateur, autocrate. On en connaît un en ce moment, mais de tous les temps, il y en a eu. Celui-ci appartient à Jean-François. En le dirigeant, ce que je recherche, c'est la fausse naïveté. On a souvent pensé qu'Harpagon était naïf. Je crois que c'est un faux naïf. Trump est très intelligent. Harpagon, pareillement, mais il veut tout posséder. Il a cette peur de ne jamais en avoir assez.

JFC: Quand t'es pris avec toi-même au point que tu verses dans l'avoir, que ton goût d'être est dans ce que tu as, quand ça devient une obsession et que tu es l'esclave de toi-même, tu deviens finalement le coffre-fort de ce que tu es. Qu'est-ce qu'on accumule aujourd'hui? Qu'est-ce qui fait de nous qu'on est avaricieux comme société? On met dans notre coffre-fort l'image. Ce narcissisme qui nous habite, on en fait un compte en banque. On s'enferme là-dedans. Harpagon ostracise sa famille et ils essaient tous d'en sortir.

Votre Harpagon n'a pas du tout l'air aimable?

CP: C'est sombre. L'oeil de Jean-François porte tout de même cette flamme éternelle. Il a tous les péchés capitaux. Mais Molière reste drôle. L'humour est là quand même. C'est très construit. C'est pour ça que ça passe l'épreuve du temps.

JFC: C'est fabuleux parce que ça se passe en une journée. On voit ce qui s'est passé pour que ce bonhomme-là décide de vouloir se marier en volant la blonde de son fils. Il y a un moteur qui n'est pas la peur. Il a une secousse intérieure et il brasse la baraque, mais il est rattrapé par ses démons, l'argent. 

Il y a quand même cette scène où Harpagon semble vouloir faire le bonheur de son fils en lui confiant Mariane. Comment on joue ça?

CP: C'est une scène formidable. Il lui dit qu'il lui donne la main de Mariane, mais lui dit presque aussitôt: "Mais tu ne la veux pas." C'est une manipulation de la part de quelqu'un qui sait c'est quoi, avoir 25 ans.

JFC: Cette histoire est fabuleuse. Molière a joué L'avare avec sa femme Mariane Béjart. La pièce s'appelle L'avare, l'école du mensonge. On est toujours en train de jauger ce qui est vrai ou faux dans ce que l'autre dit. Cette méfiance et cette paranoïa nous enferment dans une espèce de non-vérité.

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Au Théâtre Denise-Pelletier, du 15 mars au 8 avril.