Le personnage de Sol a marqué notre imaginaire depuis sa création il y a plus de 50 ans, tant à la télévision que sur scène. Sous ses habits de clown clochard se cachait le comédien et auteur Marc Favreau, magicien de la langue auquel a voulu rendre hommage la jeune troupe de théâtre ExLibris dans le spectacle L'enfance de l'art, qui sera présenté à la salle Fred-Barry à compter d'aujourd'hui.

C'est Nicolas Gendron qui en a eu l'idée, lui qui est tombé dans la soupe de Sol il y a une vingtaine d'années. «À la maison, on avait des livres et des disques, explique le créateur de 31 ans. J'ai lu et écouté ça compulsivement, j'apprenais les monologues par coeur, je me costumais comme lui, plus tard, je l'ai même imité dans des spectacles. Mais au-delà de ça, Sol m'a donné la piqûre des mots et de la langue française.»

S'il a jonglé avec l'idée de monter un solo autour de son amour pour Sol, il a finalement opté pour un spectacle de groupe, histoire de s'éloigner du personnage pour donner toute la place aux textes. 

«C'est une façon de saluer l'auteur qu'il était parce que c'était un grand. Il était un vrai poète, un acrobate, et je n'ai pas envie qu'on oublie cette qualité d'écriture, cette profondeur, l'engagement de sa parole.»

Ils seront donc cinq comédiens sur scène à dire les mots de Favreau. Et Nicolas Gendron a aussi demandé à de jeunes auteurs d'écrire «dans l'esprit de Marc Favreau» sur des thèmes imposés, que ce soit la langue, l'éducation ou le pouvoir. «L'idée n'était pas d'en faire un concours de calembours et de jeux de mots ou un pastiche. Mais il y a des sujets dans l'oeuvre de Favreau qui sont datés, et d'autres dont il n'a pas pu parler, puisqu'il est mort en 2005. Ça répond donc à des questions sur la société d'aujourd'hui. Par exemple, s'il avait vu le printemps érable, il aurait dit quoi?»

Pour Nicolas Gendron, il est « symbolique » que sa génération s'empare de quelque chose écrit il y a 40 ans - la plupart de ceux qui ont participé au projet ont la jeune trentaine. Mais deux personnes qui ont travaillé avec Favreau, soit Marcel Sabourin et Clémence DesRochers, feront partie de ses interprètes... de manière virtuelle. «C'était beaucoup leur demander d'être sur scène pendant 12 soirs. Mais je trouvais ça important de faire ce pont entre ma génération et celle de Marc Favreau.»

Faire rire et émouvoir

L'enfance de l'art sera fait de collages de textes, divisés par thèmes «mais pas trop non plus», histoire de montrer l'étendue du talent et des champs d'intérêt de l'auteur. «Il n'y a pas de monologues complets, question de durée, explique Nicolas Gendron. Il y a des textes plus courts ou plus longs, plus drôles ou plus dramatiques, car il était comme ça Sol, il pouvait faire rire et émouvoir.»

Le défi, pour les interprètes, aura été de faire respirer ces textes chargés et de les rendre «sans donner toutes les clés», dit Nicolas Gendron. «Il fallait que la parole reste à l'avant-plan et qu'on s'approprie le langage. J'ai beaucoup épuré dans mon travail d'adaptation, j'ai enlevé ses traits caractéristiques, ses oui alors, ses estradinaire, il n'en reste presque plus. Mais on n'a pas changé sa façon de dire, c'est certain!»

Nicolas Gendron espère que ce spectacle pour «tout public» qui, croit-il, pourra autant plaire aux jeunes qu'aux nostalgiques de Sol, pourra se promener un peu partout au Québec. «Cette parole mérite d'aller à la rencontre du public québécois », dit-il. Mais que peut dire Sol aux jeunes d'aujourd'hui? 

«Qu'il faut s'écouter, suivre son instinct et ne jamais cesser de s'émerveiller. Ce sont encore des leitmotivs dans ma vie. Garder son coeur d'enfant aussi, ça peut paraître fleur bleue mais c'est important. Le souci des autres, des choses, la capacité d'émouvoir, de sourire, d'être curieux. Je l'ai vu aussi en parlant avec des enfants: c'est tout près d'eux, cette façon de s'amuser avec les mots. Ça leur parle rapidement même s'ils ne comprennent pas tout. Pour les ados, ça montre aussi comment poser un regard critique sur la société, sur le rapport aux puissants de ce monde. Car Marc Favreau, c'est le petit par rapport aux grands, c'est le rapport à l'exclu, au marginal, aux délaissés de la société. C'est une des grandes choses qu'il a laissées.»

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À la salle Fred-Barry, du 21 février au 11 mars.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Gabriel Dagenais, Isabeau Blanche, Olivia Palacci, Maxime Beauregard-Martin et Nicolas Gendron sont les cinq comédiens qui diront les mots de Marc Favreau sur scène lors du spectacle L'enfance de l'art, présenté dès demain à la salle Fred-Barry.

Sol et moi

Trois participants au projet L'enfance de l'art nous parlent de leur rapport à Sol et à Marc Favreau.

Anne-Marie Olivier, auteure

«Là où je vivais en région, la poésie, les jeux de mots, il n'y en avait pas tant. Ç'a été un grand bonheur être en contact avec Sol. Je l'avais vu à l'Anglicane, je n'avais pas beaucoup d'argent mais j'étais allée quand même... C'est fou comment un poète peut créer des espaces de lumière tout en étant aussi ludique. Je suis partie de ça pour mon texte car ça m'inspire, et je suis honorée de faire partie de ce spectacle. Sol nous a laissé le goût de s'amuser, de réfléchir et de jouer avec les mots, mais ce qui me touche profondément, c'est son approche humaniste. En nous faisant rire, il ouvre des choses en nous et nous parle vraiment dans le coeur, avec douceur et humour. C'est un legs immense, qui n'a pas pris une ride.»

Gabriel Dagenais, comédien

«J'ai découvert Sol très jeune, par ma prof de 3e année qui nous en faisait écouter. Pour moi qui adore le français, Sol c'est un amoureux de la langue. J'ai étudié en linguistique avant d'entrer à l'école de théâtre, et je trouve que Favreau a vraiment inventé une forme langagière. Il s'est amusé avec une langue magnifique, et en a fait une langue tout aussi magnifique. Quand tu l'écoutes, c'est comme si ça t'ouvrait le cerveau. C'est un massage à cerveau. Pour quelqu'un qui interprète ses textes, c'est un défi car des fois, il y a plusieurs avenues dans une seule phrase. C'est comme arriver à un quatre coins et devoir prendre toutes les directions en même temps, tout en s'assurant que le message soit clair.»

Annie Cloutier, auteure

«Je me souviens d'avoir regardé Sol à la télé, c'est un personnage qui a allumé des lumières en moi, mais je ne l'ai jamais vu sur scène. Marc Favreau, c'est un regard sur le monde dans lequel on vit. Une façon de traduire parfois une colère, parfois un sentiment d'impuissance, mais dans une grande beauté. Il a su traduire des choses moins belles en des mots magnifiques, avec élégance aussi. J'espère que ce spectacle, et que d'autres initiatives aussi, le mettront davantage en lumière. C'est costaud comme corpus, c'est important. C'est un gros morceau de notre patrimoine et il faut que les artistes travaillent à garder sa mémoire vivante.»

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

«[Marc Favreau] était un vrai poète, un acrobate, et je n'ai pas envie qu'on oublie cette qualité d'écriture, cette profondeur, l'engagement de sa parole», affirme le comédien et metteur en scène Nicolas Gendron.