Michel Marc Bouchard est le tout premier auteur de théâtre québécois produit et publié simultanément en Ukraine. Or, hier encore, il se demandait pourquoi une troupe de ce pays d'Europe de l'Est s'était passionnée pour Tom à la ferme... alors que le sujet de la pièce y est tabou.

«Après la première à Kiev, vendredi soir, une femme a demandé au metteur en scène [Pavlo Arie] pourquoi il montait une pièce sur l'homophobie, alors que leur pays est en guerre. Je suis intervenu pour lui dire qu'à mon avis, parler de mépris et de haine, c'est aussi un acte de paix», nous a confié Michel Marc Bouchard, joint à Lviv, ville située à 500 km de la capitale ukrainienne.

L'auteur est en Ukraine depuis près d'une semaine. Il a d'abord assisté au lancement du livre et à deux représentations de Tom à la ferme à Kiev - par deux équipes différentes d'acteurs -, et «sous protection policière à l'extérieur du théâtre», précise le créateur des Feluettes.

Dimanche dernier, il a vu une autre distribution, aussi dirigée par Arie, défendre sa pièce à Lviv, devant plus de 200 spectateurs. «Un public jeune, très averti et respectueux», dit-il. D'autres représentations sont prévues à la mi-mars à Kiev.

Selon Bouchard, c'est autant inédit que courageux de jouer Tom à la ferme au pays de la révolution orange. Pas plus tard qu'en juin dernier, durant la «Marche de l'égalité» - la troisième marche de la fierté LGBT de l'histoire du pays -, plusieurs milliers de policiers de la garde nationale ont assuré la sécurité des... 700 participants dans les rues de Kiev.

Une histoire violente

Créée en janvier 2011 au Théâtre d'Aujourd'hui, à Montréal, puis adaptée au cinéma par Xavier Dolan, Tom à la ferme raconte l'angoissant séjour d'un jeune homme gai à la ferme de la famille de son amoureux, à l'occasion de l'enterrement de ce dernier. Il rencontre la mère du défunt, qui ignore l'orientation sexuelle de son fils, et son frère, un homme violent et brutal qui menace Tom pour qu'il ne dévoile pas le secret de son frère.

Depuis la chute du régime de Viktor Ianoukovitch, en 2014, il y a assurément une amélioration dans la vie de la communauté LGBT locale, mais le sujet demeure, au mieux, une curiosité. Pas le genre de chose qu'on aborde au théâtre. «Il est ici traité surtout dans des farces, comme un élément comique», explique l'auteur.

Officiellement, l'homosexualité ne fait plus partie du Code criminel depuis 1991. Or, l'ex-République socialiste soviétique demeure un État conservateur, machiste et religieux, selon Bouchard. 

«Même si l'Ukraine s'éloigne de la Russie pour mieux se rapprocher de l'Europe, l'Église orthodoxe reste omniprésente. Il y a une peur ambiante dans ce pays qui s'est toujours senti menacé.»

Le dramaturge rapporte que l'argument gai de la pièce n'est pas la première chose qui ressortait aux yeux des spectateurs. Pour le public ukrainien, le personnage brutal et violent de Francis (le frère de l'amant de Tom), ainsi que sa puissance et son attirance, est perçu comme un symbole de la Russie de Poutine. «Les gens se reconnaissent aussi dans la souffrance et la résilience de Tom», indique-t-il.

Michel Marc Bouchard est ému de l'accueil et de la gentillesse de l'équipe du théâtre ukrainien. Bien qu'il ait beaucoup voyagé avec ses pièces, Bouchard a l'impression d'avoir vécu une «expérience unique».

«L'équipe du Wild Theatre travaille sur ma pièce depuis cinq mois. C'est comme s'ils me connaissaient déjà et que je faisais partie de la famille! Je suis fier d'eux. Pour moi, ce sont de grands artistes. Mais aussi des héros», conclut-il.

PHOTO FOURNIE PAR LE WILD THEATRE

La production ukrainienne de la pièce Tom à la ferme, à Kiev