Depuis 25 ans, on voit beaucoup François Papineau au théâtre et à l'écran. Probablement parce qu'il est l'un des acteurs les plus solides et constants de sa génération. Dès mardi, il remonte sur les planches chez Duceppe dans Ne m'oublie pas. Un autre défi à la mesure de son (immense) talent.

Pour le comédien François Papineau, la carapace d'un personnage cache toujours une blessure intérieure. Plus la carapace est grosse... plus la blessure est profonde. Dans le cas de Gerry, ce père de famille alcoolique, colérique et hanté par son passé qu'il s'apprête à jouer dans Ne m'oublie pas, de Tom Holloway, l'armure est gigantesque!

Dans le dossier de presse de Duceppe, on reprend la citation de l'écrivain Xavier de Maistre: «Les souvenirs du bonheur passé sont les rides de l'âme.» Mais on a retiré le mot bonheur. En effet, lorsqu'on a volé notre enfance, il n'y a pas de bonheur possible. Passé, présent ou futur. 

Triste, comme sujet? «Dès que j'ai fini de lire ce texte magnifique, sur un sujet dont j'ignorais l'existence même, j'ai tout de suite accepté la proposition de Duceppe. Je sais que cette pièce a un gros potentiel de catharsis avec le public.» Et toucher le public, c'est une des forces de Papineau.

La distribution met aussi à l'affiche Louise Turcot, Jonathan Gagnon et Marie-Ève Millot, sous la direction de Frédéric Dubois. La pièce a été traduite par l'excellente Fanny Britt.

Inspiré d'un fait aussi réel que révoltant, Ne m'oublie pas aborde la déportation de 3000 enfants pauvres, d'Angleterre vers l'Australie, entre 1945 et 1968, dans le cadre de la politique migratoire «White Australia». Le gouvernement de Londres a poursuivi pendant plus de 100 ans une politique eugénique, amorcée au XIXe siècle, qui arrachait des enfants de familles britanniques défavorisées en les envoyant «vers un avenir meilleur» dans les pays du Commonwealth, dont le Canada. Selon Papineau, on estime que près de 10 % de la population canadienne est issue de cette immigration-là.

Bien sûr, le paradis promis aux enfants ressemblera plus à un cauchemar. La vaste majorité des enfants ont été exploités, maltraités et victimes de sévices sexuels. Comme Gerry. Ce dernier a quitté Liverpool à 3 ans, pendant que sa mère était au travail. Ça ressemble plus à un enlèvement. 

«C'est incroyable que l'État - pourtant responsable du bien-être collectif, et qui devrait agir comme un bon père de la nation - n'ait pas protégé ces enfants vulnérables. Il a plutôt décidé de les abandonner durant toutes ces années.»

Devenu adulte et rongé par la culpabilité, Gerry a effacé toute trace de son passé et enfoui les blessures dans l'oubli. Grâce à sa fille, il entamera des démarches pour retrouver sa mère en Angleterre. Et enfin comprendre un peu pourquoi on l'a privé d'amour. Toute une vie!

François Papineau a eu 50 ans la veille de Noël. Depuis plus de 25 ans, il enfile les rôles au cinéma, au théâtre et au petit écran. Il est l'un des acteurs les plus solides et constants de sa génération. D'abord, il y a sa voix. Chaude, feutrée et rassurante. Ensuite, son physique solide, son regard grave, sa personnalité calme et posée. Papineau fait penser à un Robert De Niro québécois... à l'époque où De Niro faisait des bons choix de carrière. 

De Mario dans Motel Hélène à Alceste dans Le Misanthrope, on a l'habitude de le voir jouer des personnages d'hommes blessés, tapis sous leur robuste carapace. «Tout ce qui n'est pas clair et très émotif, c'est moi! dit l'acteur à la blague. Je ne joue pas au théâtre pour jouer au théâtre, poursuit-il. Il me faut un défi; un rôle qui me met réellement en danger. Je ne suis pas un technicien ni un mécanicien de la scène. Chaque fois, je risque de me péter la gueule!»

La carapace de Despins

Au cinéma, dès le 10 mars, François Papineau sera en vedette dans le prochain film de Benoit Pilon, Iqaluit, aux côtés de Marie-Josée Croze. On peut toujours le voir dans la peau du directeur du pénitencier de Lietteville, dans Unité 9 dont on a confirmé le retour pour une 6e saison à ICI Radio-Canada.

Les téléspectateurs aiment haïr son personnage dans Unité 9, en le voyant agir comme un robot militaire avec tout le monde. L'acteur dit que Despins était «pire que ça au départ», dans le scénario de la première saison.

D'ailleurs, Papineau a failli refuser l'offre de Fabienne Larouche, la productrice d'Unité 9. Il venait de terminer la série En thérapie. Il était très fatigué et fragile: «Je me suis aussi construit une carapace pour me protéger comme acteur, confie-t-il. J'ai donc été puiser dans mon sentiment de vulnérabilité, pour ne pas qu'on puisse trouver sa faille.» 

Cela explique sans doute pourquoi, aussitôt qu'on croit comprendre Normand Despins, le personnage nous glisse entre les mains comme un savon...

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Ne m'oublie pas. Chez Duceppe. Du 15 février au 25 mars.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, La Presse

François Papineau s'apprête à jouer Gerry, père de famille alcoolique, colérique et hanté par son passé, dans Ne m'oublie pas.