La mort est injuste. Dans la vie comme au théâtre.

Il y a des pièces dans lesquelles les personnages trépassent dans les coulisses, sans dire un mot ; et d'autres où ils agonisent à l'avant-scène, durant une éternité ! Par exemple, dans L'Aiglon, un drame écrit par Edmond Rostand en 1900, Napoléon II étire ses alexandrins durant une scène au complet pour faire pleurer la salle. Mais dans Sainte Carmen de la Main de Michel Tremblay, Toothpick assassine Carmen dans la douche, sans qu'elle puisse saluer ses fans qui l'attendent dans la rue. Trop injuste, disait-on...

Que voulez-vous, dans la vie comme au théâtre, certaines morts sont dramatiques et spectaculaires ; d'autres, banales et discrètes. Par chance, au théâtre, les acteurs peuvent mourir plusieurs fois.

Benoît McGinnis, par exemple, est mort une demi-douzaine de fois... en 12 ans ! « Pour un acteur, c'est plus facile de mourir subitement sur les planches que d'avoir une lente agonie, explique-t-il. Toutefois, si un soir je meurs mal, ou trop vite, je sais que je peux me reprendre le lendemain. » 

EXPERT ÈS TRÉPAS

Le comédien est donc expert en trépas. Il a joué les premiers rôles dans Hamlet et Amadeus. Il a incarné Néron dans Britannicus, puis Bérenger 1er dans Le roi se meurt. Cet hiver, il sera l'empereur romain Caligula, dans la pièce d'Albert Camus, au TNM. « Il m'est arrivé de mourir deux fois le même jour, se rappelle McGinnis. Le soir, après la deuxième représentation, j'allais prendre un verre pour me changer les idées. [rires] »

LA DOULEUR DE CYRANO

« J'aurai tout manqué, même ma mort », réplique Cyrano de Bergerac avant de trépasser à la fin du drame historique. Au Québec, Gilles Pelletier a joué le héros romantique d'Edmond Rostand pour la Nouvelle Compagnie théâtrale, en 1974. (Par la suite, le rôle a été défendu par Pierre Lebeau, Guy Nadon, Patrice Robitaille...) 

Parmi les interprétations remarquables de M. Pelletier, certains héros s'éteignaient paisiblement, loin des yeux des spectateurs. Don Juan disparaissait dans une trappe sous un nuage de fumée ; Brutus quittait le monde dans la peur et la souffrance... 

Gilles Pelletier insiste sur une chose : l'importance du coryphée depuis la tragédie grecque.

photo yves renaud, fournie par le TNM

Roméo et Juliette. Gabriel Lemire dans le rôle de Benvolio et Benoît McGinnis dans le rôle de Mercutio, le fidèle ami de Roméo (Philippe Thibault-Denis), au TNM, à l'été 2016.

photo yves renaud, fournie par le TNM

Sébastien Ricard dans le rôle du bossu et vil Richard III, dans la production dirigée par Brigitte Haentjens, au TNM, en 2015.

Dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, la famille de Léopold disparaît dans un accident de voiture à la fin de la pièce. Mais le public ne voit rien : il se l'imagine. « L'imagination a une longueur d'avance sur les interprètes, estime M. Pelletier, parce que le public sait que l'acteur fait semblant. Dans L'Aiglon, Sarah Bernhardt adorait mourir longuement sur scène, pendant que Lucien Guitry faisait des grimaces à ses côtés ! »

LA PETITE MORT...

Reste qu'imiter la mort n'est pas aisé. L'une des morts les plus touchantes, selon Michel Tremblay, c'est celle de Diane (Élise Guilbault) dans Natures mortes de Serge Boucher. Elle s'éteint comme une fleur fanée durant la moitié de la représentation.

Mourir ! la belle affaire, chantait Brel, mais vieillir... Selon Anne-Marie Cadieux, c'est violent d'avoir à jouer un suicide, comme celui de mademoiselle Julie. En comparaison, mourir d'une longue maladie, comme Marguerite Gautier (La dame aux camélias), a exigé de l'actrice « un état particulier ». « Son lit devient sa fosse où le personnage meurt abandonné, solitaire », dit-elle. 

« Jouer la tristesse et la souffrance, l'amour ou la maladie, un comédien peut avoir des références dans son vécu, puiser dans ses souvenirs. Mais personne ne sait quand ni comment il va partir », poursuit la comédienne.

Au théâtre, au bout du compte, chaque soir, la mort plane au-dessus de la scène. Lorsque le rideau tombe et que les projecteurs s'éteignent, la distribution abandonne les personnages côté cour, pour venir saluer côté jardin. 

Dans le bel hommage de Serge Denoncourt à François Barbeau (la scène du bal dans Roméo et Juliette), Mercutio (Benoît McGinnis) danse avec la robe portée par Anne-Marie Cadieux dans La dame aux camélias. Une robe que le costumier a conçue en 2006, pour la production du TNM. 

« La mort nous unissait sur la scène, Benoît et moi », conclut Anne-Marie Cadieux. 

Ah ! Si la vie était comme au théâtre... On pourrait badiner avec la mort.