Il se faisait appeler Sauvageau Sauvageau. Si ce nom ne vous dit rien, vous n'êtes pas seul. Yves Hébert Sauvageau était un acteur et auteur dramatique d'avant-garde, brillant et sensible, qui a brièvement bousculé le paysage théâtral québécois, mais dont plus personne aujourd'hui ne se souvient. En 1970, après un début de carrière fulgurant, le jeune homme originaire de Waterloo s'est donné la mort. Il avait 24 ans.

Le Centre des auteurs dramatiques du Québec (CEAD) a eu la bonne idée d'organiser il y a un an et demi une lecture publique de son oeuvre dans le cadre de sa série Théâtre à relire. Et c'est vers Christian Lapointe (Dans la république du bonheur, Oxygène) que le CEAD s'est tourné.

Au lieu de monter une de ses pièces, Christian Lapointe a imaginé des dialogues entre le jeune Sauvageau de 24 ans (Gabriel Szabo) et un Sauvageau de 69 ans - l'âge qu'il aurait eu aujourd'hui s'il n'était pas mort -, qui est incarné par Paul Savoie et qui représente également une figure paternelle.

Les dialogues ont été construits à partir de l'oeuvre complète de Sauvageau, dont sa pièce maîtresse Wouf Wouf et son Poème de la rose. «J'ai essayé de sortir de ces textes les commentaires d'auteur, précise Christian Lapointe. Les extraits où j'avais l'impression que c'est lui qui parlait et non ses personnages.»

«Au fond, je mets en scène un personnage historique, poursuit le metteur en scène. Dans ce sens-là, il y a un volet documentaire. C'est moi l'auteur de la pièce, mais je l'ai écrite avec ses mots à lui. J'ai fait un travail de petits points pour trouver les traces de son désir de mort et de son besoin d'être en vie.»

Évidemment, le thème de la mort est récurrent dans son oeuvre, même si, nous dit Christian Lapointe, l'oeuvre de Sauvageau est «foisonnante de vie». «En général, les gens qui se tuent, ce ne sont pas des gens qui veulent mourir. Ce sont des gens qui ne veulent plus vivre. C'est différent.»

Apparition d'un ovni

Pour Christian Lapointe, il ne fait pas de doute que la lecture publique de la pièce Wouf Wouf, en 1969, a eu l'effet d'une bombe dans le milieu théâtral de l'époque.

«Tout d'un coup, il y a un jeune homme qui écrit une pièce dans laquelle il y a discontinuité du récit, fouillis narratif, tout est éclaté, explique le metteur en scène. À l'époque, il y avait Gélinas, Dubé, Tremblay, on était dans la représentation du réalisme, mais dans Wouf Wouf, on est complètement ailleurs.»

Clairement, Yves Hébert Sauvageau était en rupture avec ses pairs. «Il y a un choeur de motards, une figure d'ange avec des ailes sur ses bottes, c'est très fantaisiste!, détaille Lapointe. C'est comme un gros musical acide. Tout d'un coup, Sauvageau brise le besoin que les choses soient claires et propose une narration syncopée!»

En allant chercher toutes les perles de son oeuvre, et en retirant ce qui lui paraissait daté, dans le langage ou dans les situations - il y a un homme «enceint» d'un autre dans Wouf Wouf - Christian Lapointe s'est rendu compte que Sauvageau était en avance sur son temps.

«En 1968, il fait la critique d'un monde trop conformiste, qui ne te donne plus le droit de rêver, un monde utilitariste où la science est devenue une religion, ce monde-là a épaissi et de façon exponentielle depuis 45 ans! C'est dommage. Parce que le milieu n'a pas voulu prendre le risque à cette époque-là, on n'a pas pu entendre sa parole.»

Témoignages

Le spectacle s'ouvrira sur les témoignages de quelques hommes de théâtre qui l'ont connu et côtoyé: Jean-Louis Roux, Gaétan Labrèche, Jean-Louis Millette, Jean-Pierre Ronfard et André Pagé, qui lui aussi s'est suicidé. Des entrevues réalisées par Raymond Louis Laquerre, qui a fait son mémoire de maîtrise sur Yves Hébert Sauvageau.

«C'est Raymond Louis Laquerre qui nous a fourni tous les extraits d'entrevues et les photographies. Il avait fait plus de 70 entrevues pour sa thèse, mais moi j'ai choisi de diffuser uniquement celles de ceux qui sont morts. Avec David Giguère, qui a fait la conception sonore et la musique, on a fait un montage de tous ces éléments-là.»

On pourra même entendre la voix de Sauvageau à l'occasion d'une table ronde au CEAD sur la lecture de Wouf Wouf, à la fin des années 60. Jacques Ferron, Michel Garneau et Jean-Louis Roux lui font un retour critique sur sa pièce et Sauvageau leur répond. Un court extrait de cet échange sera diffusé pendant le spectacle.

«Avec Sauvageau Sauvageau, je ne suis pas dans le kitsch, dans l'ironie ou le sarcasme, ce qui était le cas de mes deux dernières pièces, indique Christian Lapointe. Cette pièce est à la fois un documentaire, un récit poétique et une conférence discussion. C'est une façon de refonder le mythe d'Yves Hébert Sauvageau.»

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Au Théâtre d'Aujourd'hui du 22 septembre au 10 octobre.