C'est bien connu, il y a des familles de théâtre qui se forment de manière organique autour de certains auteurs ou metteurs en scène. Denis Marleau à l'Espace Go, Fabien Cloutier à La Licorne, Marie Brassard à l'Usine C. Mais cet automne, plusieurs créateurs investiront des lieux qui leur sont à peu près étrangers. C'est le cas de Simon Boudreault, qui ouvrira la saison... chez Duceppe!

Le lieu de représentation d'un spectacle n'est pas aussi fortuit qu'on peut le croire. Chaque théâtre a son répertoire, ses auteurs fétiches, ses metteurs en scène vedettes et son public cible... Évidemment, il y a toujours des surprises et certains auteurs sont joués en plusieurs lieux, mais, bon an, mal an, nos théâtres se lient avec des artistes «de la maison».

La prochaine saison nous réserve toutefois quelques surprises. Par exemple, Jean-Philippe Lehoux, en résidence d'écriture à La Licorne, verra sa pièce Napoléon voyage jouée... au Rideau Vert de Denise Filiatrault! Christian Lapointe, que l'on voit beaucoup au Prospero ou à La Chapelle, montera une pièce de Maeterlinck au TNM! Et Simon Boudreault, qui fait les beaux jours du Théâtre d'Aujourd'hui, sera chez Duceppe avec sa pièce As Is.

Le directeur artistique chez Duceppe, Michel Dumont, admet qu'avant l'an dernier, il ne connaissait pas Simon Boudreault, auteur et metteur en scène de pièces assez remarquables comme Sauce brune, Soupers ou encore D pour Dieu?. C'est Denis Bernard, du Théâtre de la Manufacture, qui a suggéré à Dumont d'aller voir la pièce de Boudreault As Is, créée l'an dernier au Théâtre d'Aujourd'hui.

«J'ai découvert un auteur, un texte solide qui parle du monde ordinaire [des employés d'un centre de tri à l'Armée du Salut]», nous dit Michel Dumont, qui programme à l'occasion des créations québécoises (Serge Boucher, Evelyne de la Chenelière, Michel Tremblay), mais qui est réputé pour son répertoire américain (Mamet, Miller, Albee, etc.).

«Au fond, c'était la volonté de Jean Duceppe de faire un théâtre populaire où on ressent de l'émotion. Il y a une parenté énorme avec ce que fait Simon», souligne Michel Dumont.

Le fait que le public de chez Duceppe soit plus âgé n'a pas fait hésiter Michel Dumont à programmer cette pièce de Simon Boudreault, même s'il s'attend à avoir des réactions «différentes». «Le public de chez Duceppe est prêt à regarder n'importe quoi, croit-il, il suffit que ça le touche. Une bonne pièce, c'est une bonne pièce, qu'elle soit d'ici ou d'ailleurs. Je programme cinq pièces par année, je prends cinq fois des risques.»

Au-delà des préjugés

De son côté, Simon Boudreault avoue qu'au départ, lui-même ne croyait pas trop à cet «échange». «Je me rends compte que j'avais moi-même des préjugés à l'égard de ce théâtre et même des autres théâtres institutionnels. Je me disais que ce n'était pas leur genre de pièce... Je trouve ça intéressant de briser ces préjugés, par rapport au public, mais aussi par rapport au milieu artistique. Il y a plus de ressemblances que ce que je croyais entre le théâtre de Duceppe et ce que je fais.»

Comment expliquer la présence de ces «échangistes» ? Y a-t-il une volonté concertée de mieux faire circuler la dramaturgie québécoise? Michel Dumont, qui, en 2009, a programmé (exceptionnellement) cinq pièces québécoises, n'a pas cette impression.

«Il faut qu'on s'occupe du théâtre québécois, quoi qu'on fasse dans nos théâtres, dit-il. Il faut lire les auteurs québécois d'aujourd'hui. Dans ce sens-là, oui, il y a une ouverture.»

Simon Boudreault est de son avis. «S'il y a une telle volonté, je crois que c'est de façon inconsciente. As Is n'est pas non plus ma première pièce. Jean-Philippe [Lehoux], Christian [Lapointe] ou moi avons quand même une certaine expérience. Alors, oui, il y a une audace à nous programmer, mais, quand on regarde les thèmes traités dans ma pièce, on se rend compte qu'ils ne sont pas si étrangers que ça à la ligne directrice de Duceppe.»

«Je dis toujours que je veux faire du théâtre populaire sans être populiste, poursuit Simon Boudreault, qui a monté En cas de pluie, aucun remboursement à Blainville cet été. Mon théâtre s'adresse à tout le monde. Même si je vais utiliser des théâtralités différentes ou combiner des choses surprenantes, je donne toutes les clés du jeu formel que je vais utiliser dès le début de la pièce. Honnêtement, pour moi, c'est une chance de pouvoir rejoindre un public plus large.»

Rencontre avec un nouveau public

As Is fait le récit de Saturnin, étudiant en philosophie politique, qui trouve un emploi d'été comme trieur à l'Armée du Rachat. Il fera la connaissance de gens issus d'un milieu qu'il ne connaît absolument pas et qui fonctionne selon ses propres règles. Lors de la création au Théâtre d'Aujourd'hui, plusieurs kilos de vêtements et d'objets épars ont été déposés sur la scène de manière à former un énorme «tas». Ce sera également le cas chez Duceppe.

La programmation de cette pièce s'inscrit clairement dans la volonté de Duceppe de rajeunir son public.

«Je pense que tous les théâtres institutionnels de Montréal doivent trouver les moyens de rajeunir leur public, estime Michel Dumont. On doit parler de théâtre dans les écoles, ça part de là.»

Simon Boudreault, lui, est optimiste par rapport à cette rencontre avec le public de fidèles de chez Duceppe, mais il est convaincu qu'elle attirera aussi un public nouveau, plus jeune.

«Michel parlait d'une saison "choc" et je suis d'accord. J'ai l'impression qu'il va se passer quelque chose dans cette première rencontre avec le public. Je crois que, oui, c'est un événement théâtral de la rentrée. On sait déjà qu'il y a plusieurs groupes des cégeps et des universités qui viendront, ce sera peut-être pour eux la première fois, donc ça risque d'être intéressant.»

On verra bien quel accueil recevra As Is, qui sera également présenté au Centre national des arts d'Ottawa, mais Michel Dumont souhaite déjà le retour de Simon Boudreault chez Duceppe. «J'ai déjà une autre pièce de lui sur mon bureau et j'espère pouvoir la programmer.»

Au Théâtre Jean-Duceppe du 9 septembre au 17 octobre.