Il existe six écoles professionnelles de théâtre au Québec, mais ce nombre aurait bien pu fondre de moitié. Il y a quelques mois, cette idée a été soulevée dans un rapport du Conseil québécois du théâtre (CQT) sur l'état des formations existantes. À peine déposé, le rapport a enflammé le milieu, qui a qualifié le travail de «bâclé».

Selon ce qu'a appris La Presse de plusieurs sources qui ont consulté le document (jamais rendu public), on y proposait de limiter la formation en interprétation à deux écoles, qui auraient probablement été le Conservatoire d'art dramatique et l'École nationale de théâtre. Les cégeps auraient eu le mandat d'enseigner en amont les bases du théâtre, alors que le milieu universitaire serait revenu à sa mission de recherche.

«Le rapport a vraiment été mal fait. Le CQT partait d'affirmations complètement fausses. Ils n'ont pas fait un travail d'analyse sérieux. C'était un rapport basé sur des ouï-dire, qui a d'ailleurs été mis à la poubelle», explique Ghyslain Filion, directeur artistique de l'école de théâtre du Collège Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse.

«Je me suis éloignée du CQT, renchérit Denise Guilbault, qui pilote la section française de l'École nationale de théâtre, à Montréal. Après la sortie du rapport, nous avons eu une rencontre houleuse. J'ai vu qu'on ne recherchait pas une discussion, mais qu'on voulait des accusations. Ce n'était pas constructif.»

La directrice générale du CQT, Hélène Nadeau, reconnaît que le travail n'a pas fait l'unanimité, mais préfère ne pas commenter l'affaire.

Un vieux débat lancé par des jeunes

Au Québec, plusieurs centaines d'élèves soumettent leur candidature chaque année à l'École nationale de théâtre, aux Conservatoires d'art dramatique de Montréal et de Québec, au Collège Lionel-Groulx, au cégep de Saint-Hyacinthe et à l'Université du Québec à Montréal, dans l'espoir d'être admis dans un programme professionnel en interprétation.

Selon nos informations, la résurgence du débat sur l'avenir des formations aurait été provoquée par d'anciens finissants, qui ont depuis fondé leurs propres compagnies de théâtre. Voyant le bassin de subventions stagner, mais le nombre de soumissionnaires augmenter, certains doutent de la capacité du marché d'absorber une cinquantaine de nouveaux comédiens tous les ans.

L'ensemble des institutions visées par le rapport a toutefois répliqué qu'il ne fallait pas concevoir l'avenir des formations en arts de façon mercantile. Formons-nous trop d'acteurs au Québec? Cette question, que leur a de nouveau posée La Presse, les a fait rager.

«C'est une question à laquelle il est presque impossible de répondre, juge Gideon Arthurs, directeur général de l'École nationale de théâtre. Y a-t-il trop de diplômés pour le nombre d'emplois dans les institutions reconnues? Peut-être. Mais il s'agit d'un marché qui se transforme. À Toronto, par exemple, la renaissance du théâtre passe par le secteur indépendant. On tient des performances dans des usines abandonnées, entre autres.»

Comme ses pairs, il semble exaspéré que la question refasse surface. Pour ce reportage, il nous a d'ailleurs envoyé un rapport publié en 1978 par la Commission d'enquête sur la formation en théâtre au Canada.

«Il y a deux sortes de rumeurs qui émanent d'artistes actifs, tant des acteurs, des directeurs de compagnie, que de l'Union des artistes. On dit qu'il y a trop d'étudiants, et que les écoles engraissent les rangs du chômage», peut-on lire dans le document, qui déconstruit ensuite ce mythe.

«Nos étudiants en interprétation ne finissent pas nécessairement interprètes, poursuit Denise Guilbault, de l'École nationale de théâtre, en entrevue. Wajdi Mouawad a étudié en interprétation, il est devenu un auteur et un metteur en scène. Mani Soleymanlou est devenu un auteur. André Robitaille est un animateur, alors que Léane Labrèche-Dor fait de la variété. Ils ont tous d'abord étudié pour devenir interprètes. Les acteurs qui veulent travailler exclusivement à la télévision ou au cinéma, il y en a peut-être trop, mais ça, c'est une autre question.»

Une réflexion à trois niveaux

Face au tollé qu'a provoqué son premier rapport, le Conseil québécois du théâtre a relancé ce printemps les discussions sur de nouvelles bases. Le milieu s'est de nouveau rencontré à trois reprises, à Montréal et à Québec. Comme nous l'a expliqué la directrice générale du CQT, Hélène Nadeau, on ne parle plus de réduire le nombre d'écoles.

«Nous ne formons pas trop d'interprètes. Nous sommes plutôt convaincus que le nombre de finissants est un des éléments corollaires du dynamisme et de la qualité du théâtre québécois», dit-elle.

Dans son deuxième rapport, qui n'est toujours pas écrit, le CQT se penchera sur trois enjeux. On tentera d'abord de trouver une solution pour que l'ensemble des étudiants ait accès à une formation en théâtre dans leur région, ce qui n'est toujours pas le cas. On proposera ensuite diverses mesures pour différencier les formations existantes les unes des autres. «Ce qu'il nous faut, c'est de la couleur», affirme Mme Nadeau.

Finalement, le CQT discutera avec ses membres de l'idée d'une gradation des formations, pour que les étudiants soient mieux outillés lorsqu'ils commencent leur formation d'interprète. Mais déjà, cette dernière notion est loin de faire l'unanimité.

«Je n'adhère pas à cette idée. Je vois mal comment un futur interprète peut passer deux ans dans une école pour apprendre des techniques, sans jamais les appliquer», affirme Luce Pelletier, coordonnatrice du programme d'interprétation de l'école de théâtre du cégep Saint-Hyacinthe.

Le débat au CQT est ainsi loin d'être terminé et promet d'être à nouveau corsé.