Après quatre ans sans théâtre, Antoine Bertrand est remonté sur scène la semaine dernière pour jouer dans la comédie à succès Intouchables au Rideau Vert. Portrait d'un acteur tombé dans le baril du jeu quand il était petit.

Un souvenir d'adolescence résume mieux que 1000 portraits le parcours du comédien Antoine Bertrand. Alors qu'il allait jouer pour la première fois dans une pièce de théâtre, en 5e secondaire, à Granby, Antoine s'est cassé une jambe... Trois jours avant la première!

«J'ai joué toutes les représentations avec un plâtre et des béquilles, se souvient-il. C'est là que j'ai compris qu'il ne faut jamais faire de sports extrêmes lorsqu'on répète au théâtre [rires].»

Au-delà de l'anecdote, cela prouve qu'Antoine Bertrand est bel et bien fait pour exercer ce métier. À son corps défendant.

Quelques heures avant la générale d'Intouchables au Rideau Vert, lundi, La Presse a rencontré Antoine Bertrand, en avalant un hamburger steak sauce brune au bar Les Patriotes. Pourquoi cet endroit du quartier Hochelaga? Le personnage qu'il défend dans l'adaptation québécoise du film français à succès vient d'un quartier populaire de Montréal.

Le comédien incarne Louis, l'aidant qui donne des soins à domicile à Philippe (Luc Guérin), bourgeois cultivé d'Outremont dont la vie a basculé après un accident qui l'a laissé tétraplégique.

Ensemble, ces deux solitudes formeront un drôle de couple. Deux hommes aux antipodes - physiques, intellectuels, sociaux, économiques - qui réaliseront qu'on peut emprunter des chemins différents pour arriver au même endroit dans la vie. En écoutant son coeur.

«Louis est né dans un milieu défavorisé. Il a fait les 400 coups et sort tout juste de prison, explique Antoine Bertrand. Son humour est une carapace pour cacher son ignorance, sa pauvreté. L'humour lui sert à masquer une blessure intérieure.

- Vous ne venez pas du même milieu, mais vous partagez ce trait de personnalité avec Louis?

- Oui, c'est vrai, répond le comédien. À l'école secondaire, j'ai vite compris que l'attaque reste la meilleure défense. En bavant les autres élèves ou en m'auto-bavant, je contrecarrais les mauvaises blagues sur mon gabarit. Les pires blagues sur les gros, je les faisais avant tout le monde.»

Un rocher de dentelle

Antoine Bertrand n'est pas le premier ni le dernier interprète à connaître le succès sans avoir le physique d'un jeune premier. Au contraire, il s'est servi de son corps pour mieux se distinguer des autres acteurs de sa génération.

De Junior dans Les Bougon à Louis Cyr, en passant par les créations au théâtre, le comédien a vite compris comment toucher le public en misant sur son profil imposant pour mieux exposer son extrême sensibilité. «Mais ma carrière est au Québec. À Hollywood, ce serait probablement plus difficile», avance-t-il.

«Aujourd'hui, j'ai la chance d'être dans une situation très confortable comme acteur. L'instinct naturel serait de rester dans ma zone de confort. Mais j'ai juste 37 ans. J'ai envie d'aller ailleurs, de jouer des rôles différents, de plonger dans le vide. Pour ça, il faut travailler avec de bons metteurs en scène (comme René Richard Cyr) qui me poussent à aller ailleurs. Et m'aident à transformer la grosse roche que je suis en fine dentelle.»

Antoine Bertrand dit vouloir travailler avec des artistes qui servent la pièce, le film ou l'histoire, avant de se servir eux-mêmes. C'est entre autres pour cette raison que l'acteur qu'on n'a pas vu au théâtre depuis quatre ans joue dans Intouchables.

«C'est après avoir lu l'adaptation d'Emmanuel [Reichenbach] que j'ai accepté d'embarquer dans le projet. J'y ai retrouvé les qualités du film avec une saveur locale ajoutée. Je suis retombé amoureux de cette histoire rassembleuse et populaire. De plus, Emmanuel est un roi du dialogue "punché". C'est un auteur qui joue aussi. Il sait comment va sortir une réplique dans la bouche d'un acteur en l'écrivant.»

Retrouver Luc Guérin

Antoine Bertrand estime que la production à l'affiche du Rideau Vert représente le meilleur des deux mondes.

L'acteur retrouve aussi avec joie Luc Guérin, huit ans après Appelez-moi Stéphane. «Au niveau du jeu, c'est plus dur pour lui que pour moi, dit-il. Le corps, c'est 50% de l'instrument du comédien. Puisque Luc est prisonnier dans son fauteuil roulant, il ne lui reste que sa tête, sa parole et son coeur pour jouer. Il doit désapprendre tout ce que son corps a enregistré. Mais au lieu de se braquer, Luc a retourné cette frustration pour composer son personnage. Car le deuil du corps fait partie de la réalité de Philippe.»

La carrière d'Antoine Bertrand est «un mélange d'instinct, de chance et d'heureuses rencontres». Après cette première expérience sur scène au secondaire avec un plâtre et des béquilles, l'adolescent se doutait de son potentiel comique, sans toutefois croire que le théâtre était sa voie.

«Je me suis d'abord inscrit en exploration théâtrale au cégep de Saint-Hyacinthe. J'avais aussi fait deux demandes en graphisme dans d'autres cégeps où j'ai été refusé. Au bout d'une session à Saint-Hyacinthe, je me suis dit: «Oublie ça, Antoine! Tu ne feras jamais de logos dans la vie.»»

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Au Rideau Vert jusqu'au 26 avril. En supplémentaires en mai à la salle Pierre-Mercure et à L'Étoile du Quartier DIX30. En tournée québécoise au printemps 2016.

CINQ COUPS DE COEUR AU THÉÂTRE

La Locandiera au TNM (1993)

«Comme plusieurs jeunes hommes, à l'époque, je suis tombé follement amoureux de Sylvie Drapeau en la voyant dans la peau de Mirandoline, la belle aubergiste de la comédie de Goldoni, dirigée par Martine Beaulne. J'étais un ado de Granby qui ne connaissait strictement rien au théâtre. La Locandiera m'a touché et a nourri ma flamme du théâtre.»

Le Pillowman au Théâtre La Licorne (2009)

«Je me permets d'inclure une pièce dans laquelle j'ai joué sous la direction de Denis Bernard. Je me suis gratté le bobo chaque soir en montant sur scène. Le Pillowman est un mélange de comédie et de violence qui m'a poussé dans des zones troublantes et a marqué ma carrière.»

Billy (les jours de hurlement) au Théâtre du Grand jour (2012)

«Après Scotstown et Cranbourne, je trouve que Fabien [Cloutier] est arrivé à maturité dans son écriture avec cette pièce. On sortait du conte «in your face» pour accéder à un univers dramatique riche et profond. Et j'ai découvert Guillaume Cyr sur scène. On a le même gabarit, mais pas la même énergie sur scène. On s'admire mutuellement.»

The Play That Goes Wrong au Duchess Theatre (2013)

«C'est l'histoire hilarante d'une troupe amateur qui monte une pièce à suspense. Or, tout ce qu'ils font sur scène tourne au vinaigre. La distribution est formée de jeunes comédiens diplômés du London Royal Academy of Music & Arts regroupés au sein de la Mischief Theatre Company. Cette comédie a connu un succès boeuf au Festival d'Édimbourg et joue à guichets fermés dans le West End depuis deux ans.»

King Charles III au Almeida Theatre (2014)

«Cette production londonienne de Mike Bartlett (Cock) est une variation autour des tragédies de Shakespeare transposée au XXIe siècle. Ça se déroule après la mort d'Élisabeth II avec l'ascension au trône du Prince Charles. C'est une parodie brillante de la monarchie britannique, avec plein de clins d'oeil à Kate Middleton, la mort de Lady Di, les frasques de Harry, etc. Mais aussi des références sérieuses à Shakespeare et une réflexion sur les revers de la monarchie.»