Un après-midi de février à l'École nationale de théâtre (ENT), rue Saint-Denis, à Montréal. Un vent glacial balaie l'institution vieille de 55 ans, mais à l'intérieur, personne ne semble endormi par le froid. Gideon Arthurs, le nouveau directeur général en poste depuis six mois, se dit prêt à passer à l'action. Portrait d'un homme qui veut «changer le milieu» et remettre le théâtre au coeur de la vie des gens.

Dans son bureau situé à deux pas de l'entrée des élèves, Gideon Arthurs, 35 ans, travaille debout devant son ordinateur. L'image est saisissante: celui qui a succédé en août dernier à Simon Brault à la direction générale de l'École nationale de théâtre veut donner un vent de fraîcheur à l'institution. Pas le temps de s'asseoir: il a surélevé son espace de travail et n'a pas de chaise.

«Depuis mon arrivée, je me suis impliqué partout, partout, partout. Je n'ai pas arrêté de bouger. C'était une période d'adaptation pendant laquelle j'ai beaucoup écouté, mais maintenant, je me sens prêt à passer à l'action», dit-il d'entrée de jeu.

Cette nouvelle aventure a commencé l'an dernier, quand il a reçu un appel chez lui, à Toronto. On voulait savoir s'il voulait venir s'installer à Montréal pour prendre les rênes de l'École. «Quand j'ai vu l'offre d'emploi passer, je me suis dit: «Oui, ça m'intéresse», mais peut-être dans 10 ans. Je ne pensais pas être dans leur ligne de mire, alors que je suis si jeune», raconte-t-il humblement.

Belle feuille de route

Pourtant, la feuille de route de Gideon Arthurs a de quoi faire rougir plusieurs vieux de la vieille. Alors qu'il n'avait que 27 ans, il a été nommé à la tête du festival Toronto Fringe. Pendant son mandat, l'organisation a connu une croissance rapide, tout comme la programmation de l'événement.

«Gideon a toujours été quelqu'un au-delà de son temps. Quand il était avec nous, il ne s'est pas contenté de travailler sur le festival. Il a aussi mis sur pied le Creation Lab, un lieu de création pour les artistes indépendants», raconte Kelly Straughan, celle qui lui a succédé à la tête du Fringe.

Entre la fin de ses études en théâtre à la prestigieuse Université Brown, dans le Rhode Island, et son arrivée à Montréal, l'homme-orchestre a mené plusieurs défis de front. Stage au Ghana, direction du théâtre Tarragon, président du Small Theatre Administrative Facility, vice-président de la Toronto Alliance for the Performing Arts et directeur artistique de Groundwater Productions, une boîte qu'il a cofondée avec sa conjointe, la dramaturge et actrice Erin Shields.

Gideon Arthurs se dit privilégié de pouvoir former la prochaine génération d'acteurs, dramaturges, metteurs en scène, producteurs et scénographes qui passeront par l'École. Il se dit aussi d'emblée «très heureux» de travailler pour la première fois au Québec, même s'il n'a pas encore eu le temps de fréquenter les théâtres montréalais.

C'est son horaire de travail, contraignant, et son rôle de papa qui l'en a empêché pour l'instant, plaide-t-il, et non une barrière linguistique. Car le nouveau directeur général est parfaitement bilingue.

Gideon Arthurs a grandi dans une famille ontarienne francophile. Il a joué sa première pièce de théâtre en français (En attendant Godot), et a choisi d'inscrire ses deux filles dans une garderie francophone du quartier Villeray, où il habite, plutôt que dans le très anglo West Island. «L'intégration est importante pour moi, et déjà, mes enfants parlent les deux langues officielles sans problème», dit-il.

Que souhaite-t-il changer du milieu théâtral pendant son mandat?

«Je veux travailler à ce que le théâtre et «la vraie vie» se rapprochent. L'art institutionnel a perdu sa connexion avec le peuple. Il faut qu'on se rapproche des communautés, de différents milieux de vie, des quartiers», affirme-t-il sans hésiter.

Mais derrière cet idéal, comment peut-on créer cette nouvelle connexion? «Ce n'est pas à moi de répondre à cela, mais à la relève que nous formons ici, répond-il. La solution va venir des jeunes artistes. C'est important de brasser la cage. Il y a beaucoup de peurs dans notre milieu, et on parle souvent de financement, ou d'emplois, mais pas de la place de l'artiste dans sa société.

«L'École fait partie de l'histoire du théâtre. On est en bonne partie responsables de ce qui se fait de bien comme de mal. Il ne faut plus que la relève se plie aux demandes des institutions, mais que les institutions changent au gré de ce que la relève veut», ajoute Gideon, visiblement passionné par ce sujet.

Revoir la mission du Monument-National

Quoi de mieux, à titre de directeur, que de montrer l'exemple? Récemment, il a rassemblé 25 personnes du milieu, dont des étudiants, pour lancer une réflexion qui changera à terme le visage du Monument-National, propriété de l'École.

«J'ai l'impression qu'il est la bonne personne au bon moment. Il arrive avec une belle compréhension des enjeux ainsi que de nouvelles idées qui me semblent inspirantes», explique Jasmine Catudal, codirectrice de l'OFFTA, présente lors de cette réunion.

En fait, Gideon Arthurs souhaite revoir de fond en comble la mission de ce théâtre, le plus vieux toujours en fonction à Montréal, érigé en 1893 sur le boulevard Saint-Laurent, à la porte du Quartier chinois. Sous sa gouverne, le lieu pourrait cesser de se consacrer à la location de salles, comme c'est le cas actuellement, pour devenir un espace créatif «qui fera une grande place aux artistes de la relève et à nos étudiants», dit-il.

Tout ceci n'est pas étonnant, affirme Kelly Straughan, du Toronto Fringe. «Il a travaillé une bonne partie de sa carrière pour les artistes émergents. Gideon, c'est quelqu'un qui ne regarde personne de haut. Il est inclusif et populiste. Ce qui lui importe, c'est de rendre l'art accessible», dit-elle.

Mais le milieu théâtral montréalais est-il ouvert à ce que le Monument-National change de vocation?

«C'est une idée excessivement porteuse, et comment dire... On en rêve!», répond Jasmine Catudal, de l'OFFTA.

«Moi, ce dont je suis certain, c'est que le Monument-National doit revenir un lieu d'apprentissage et de questionnement, plutôt que de diffusion et de location. Mais tous ces projets, je les ferai avec les gens. Je n'impose rien, je travaille avec tout le monde», promet Gideon Arthurs.

L'école nationale en bref

> Fondation: 1960

> Nombre de programmes: 5

> Étudiants inscrits à la rentrée 2014: 86 dans la section française, 82 dans la section anglaise

> Candidats aux concours d'entrée: 850 par année pour les deux sections et tous les programmes

> Nombre de diplômés depuis 1960: plus de 2000