Il y a eu les fantômes du Forum, qui ont jadis veillé sur les joueurs du Canadien, il faudra désormais parler du fantôme d'Anne Frank au TNM. Car c'est comme si elle y était, la jeune Anne Frank, 70 ans après sa mort dans le camp de Bergen-Belsen, en Allemagne, quelques mois avant la fin de la guerre. Elle avait à peine 15 ans.

Il faut dire que la présence d'Anne Frank, interprétée avec virtuosité par la jeune Mylène St-Sauveur, est renforcée par des enregistrements de sa voix et d'impressionnantes projections de scènes de guerre, d'images de camps et de trains sifflants. Dans une scène poignante, on voit Hitler faisant le salut nazi juste en face de la jeune ado.

Le défi était de taille. Pas facile, en effet, de raconter cette histoire dont tout le monde connaît l'issue. Le prolifique Eric-Emmanuel Schmitt et la metteure en scène Lorraine Pintal ont pourtant réussi à nous faire le récit quotidien des deux années de captivité où la famille Frank s'est terrée dans la fameuse Annexe (à Amsterdam) avec une autre famille juive. Avant d'être dénoncée.

L'auteur a centré son texte autour du père d'Anne Frank, Otto, seul survivant de la famille au moment de la Libération. Mais Otto Frank, rescapé d'Auschwitz, ne sait pas encore que ses filles sont mortes du typhus dans le camp de Bergen-Belsen. Démolie par la nouvelle, sa secrétaire Miep Gies lui remettra le journal intime de sa fille Anne.

C'est donc en lisant le journal de sa fille qu'Otto Frank nous fait revivre, en faisant des sauts dans le temps, l'histoire tragique de sa famille. Avec ses moments de tension, bien sûr, mais aussi avec beaucoup d'humour, celui de cette Anne taquine et espiègle, qui vivra d'ailleurs ses premiers émois amoureux avec Peter (le fils de la famille van Pels).

Autre comic relief: le personnage d'Auguste van Pels, femme insupportable, interprétée avec piquant par Marie-Hélène Thibault. Mais aussi son mari Hermann, qui ira jusqu'à lui dire, furieux: «Lorsqu'on est bête comme vous, on mange du foin!» Autant de scènes qui apportent des teintes de bleu dans ce pan gris de l'histoire.

Brillante distribution

Malgré quelques débordements émotifs, Paul Doucet incarne de manière convaincante la figure paternelle bienfaisante d'Otto. Toute la distribution s'illustre d'ailleurs. Mentions spéciales à Benoît Drouin-Germain dans le rôle de Peter et à Sébastien Dodge dans le rôle du dentiste juif qui partagera la cache des Frank.

Les nombreux passages du Journal d'Anne Frank qui nous sont lus - par les personnages d'Otto et d'Anne - sont parfaitement intégrés au récit. Au fond, on y découvre la prose d'une jeune fille semblable à mille autres. Avec ses frustrations, notamment à l'endroit de sa mère, ses espoirs, ses désirs et ses secrets.

Non, ce qui nous touche, c'est cet esprit de liberté et ce désir de vivre qu'elle exprime si bien dans ce journal qu'elle surnomme Kitty.

Dans une scène, Otto Frank s'insurge contre les Allemands qui traitent les Juifs comme des monstres. «À travers le journal d'Anne Frank, les gens verront bien que ce n'est pas le cas», dit-il en substance. Impossible de ne pas penser à tous les autres peuples opprimés d'aujourd'hui, y compris ceux qui vivent entourés de murs. Eux non plus ne sont pas des monstres.

Au TNM jusqu'au 7 février.