Acteur, écrivain, chroniqueur, Jean-Philippe Baril Guérard touche à tout avec la fureur des jeunes de sa génération. Il adore les romans de Bret Easton Ellis et aimerait jouer... Lady Macbeth. En attendant, il signe la mise en scène de sa nouvelle pièce, Tranche-cul, qu'il produit avec ses économies. Portrait d'un libre penseur.

Barbe fournie du parfait «lumbersexuel» (le nouveau look bûcheron urbain), yeux noisette et pétillants, casquette vissée sur la tête, veste Adidas et pantalon fuseau noir, Jean-Philippe Baril Guérard ressemble à un musicien indie rock. Or, il vient rencontrer La Presse pour discuter de son roman et de sa pièce Tranche-cul, qu'il met en scène et sera présentée, dès jeudi prochain, à Espace libre.

Archétype du hipster de la génération Y, le jeune homme n'attend après personne pour créer ses projets artistiques. Exigeant envers lui-même et envers les autres, le créateur de 26 ans carbure aux doubles espressos, travaille fort et s'amuse encore plus intensément.

D'ailleurs, il dirige le Théâtre En petites coupures. Un nom qui prend ici tout son sens: Baril Guérard n'a reçu aucune subvention publique pour la production de Tranche-cul. Et il a mis 12 000 dollars de son argent gagné en faisant du doublage et des voix (il est la voix officielle d'ICI Radio-Canada Première) pour financer la pièce et payer ses (15) acteurs.

Dans la vie comme sur les planches, le comédien - qui a étudié en jeu au cégep de Saint-Hyacinthe - aime repousser les limites. «Depuis mon enfance, on me répète que tout va mal sur la planète, que c'est impossible de changer les choses, que rien n'est garanti, etc. Ma génération a commencé sa vie d'adulte désillusionnée. Or, si rien n'est possible, tout reste à construire. Il faut créer sa propre chance.»

Xavier Dolan aurait le même discours.

Un labrador hyperactif

«Jean-Philippe est un des gars les plus intelligents que je connaisse, a récemment confié la comédienne Catherine Brunet (Le monde de Charlotte) au magazine Fugues. Il s'intéresse à tout. Il est comédien, doubleur, metteur en scène, écrivain. C'est un sportif aussi [il fait de l'escalade, du power yoga, du snowboard]. Je le comparerais à un labrador: il court partout, il parle vite... il a un petit côté hyperactif.»

Pas surprenant que Baril Guérard parle de sa pièce comme d'un cours d'autodéfense intellectuelle: «Tranche-cul, c'est un appel à la pensée critique, à l'éveil intellectuel pour ne pas se laisser glisser vers le populisme, le sophisme», explique l'auteur qui dénonce aussi la stupidité et la bêtise humaine.

En effet, son texte est une charge contre les dérives du discours ambiant, la dictature de l'opinion, le «fast-food» intellectuel qui sévit, trop souvent, dans les médias, les blogues ou les réseaux sociaux. «C'est un miroir grossissant, reconnaît-il. Pour moi, l'exagération au théâtre, c'est plus intéressant que le reflet réaliste de la vie. Ma pièce commence là où la vie cesse.»

Sexe, drogue et karaoké

En 2007, à 19 ans, Baril Guérard a reçu le Prix de l'Égrégore du concours intercollégial d'écriture dramatique pour sa pièce Baiseries. Sept ans plus tard, il vient de publier un premier roman, Sports et divertissements, qui se trouve sur la liste du Prix des libraires 2014. Un roman sexe, drogue et karaoké (à l'image des romans de son mentor, Bret Easton Ellis, le karaoké en sus!).

Il s'est inspiré d'amis comédiens proches (comme Catherine Brunet et Félix-Antoine Tremblay) sans tomber dans l'autobiographique, nuance-t-il. Encore le miroir grossissant. «Les personnages de mon roman [une actrice de 24 ans et ses amis acteurs et réalisateurs] ont du succès et de l'argent très jeunes. Ce sont des modèles des «enfants rois» de la génération Y. Ils n'ont jamais désiré quelque chose, parce qu'ils ont tout eu, tout de suite.»

Le récit est aussi très peu flatteur à l'égard du milieu du théâtre. Extrait: «Il y a beaucoup de mauvais théâtre, dans la vie. Beaucoup de gens du milieu théâtral semblent être nés avec un manque de goût congénital. Directeurs artistiques, metteurs en scène, comédiens, scénographes, éclairagistes. Beaucoup de gens.»

Explications? «Je m'ennuie souvent au théâtre. J'ai un problème avec les créateurs qui font des shows uniquement parce qu'ils ont le goût de faire du théâtre. À mon avis, le point de départ d'un projet artistique, c'est le besoin de dire quelque chose, de prendre la parole pour exprimer un point de vue au public.»

À l'instar de beaucoup de ses contemporains, Baril Guérard avoue être trop cynique par rapport à la politique et au pouvoir dans la société québécoise. «Le seul espace d'engagement qu'il me reste, c'est l'art.»

Et des rêves d'artiste, sa valise en est pleine. Il adorerait monter du Shakespeare, un Roméo et Juliette avec une bande de filles, pour inverser la tradition élisabéthaine. Il rêve aussi de Macbeth, pas pour jouer le rôle-titre... mais pour incarner la perfide et sanguinaire Lady Macbeth!

«Tout pour s'éloigner des conventions réalistes au théâtre et créer dans un espace de liberté», conclut-il, avant de sauter dans un taxi pour retourner aux répétitions. Et souhaiter refaire le monde avec une troupe de 15 comédiens.

À Espace libre, du 4 au 20 décembre.