La comédie, c'est un désespoir qui n'a pas les moyens. Et Georges Feydeau, célèbre auteur de vaudeville et épicurien devant l'Éternel, en est l'illustration. Ce prince des Boulevards a fait rire son époque et sa société (la bourgeoise parisienne) avec des comédies à succès; certaines tenaient l'affiche pour plus de 1000 représentations. Mais il est mort de la syphilis à 58 ans, délirant dans une maison de fous.

Le prince des jouisseurs de Gabriel Sabourin raconte un épisode des dernières années de Feydeau, juste avant son internement à Rueil-Malmaison. Créée mercredi dernier au Rideau Vert, dans une mise en scène un peu paresseuse de Normand Chouinard (qui abuse des noirs et brise le rythme), la pièce utilise les mécaniques du vaudeville pour mieux exposer un Feydeau tragicomique. Un personnage drôle, excessif, lubrique et frivole, mais aussi malade, vulnérable, dupe. Et profondément seul.

L'action se déroule à Paris en 1919. Feydeau vit seul dans une chambre d'hôtel, près de la gare du Nord. Il se lève au milieu de l'après-midi avec la gueule de bois. Il sort tous les soirs pour aller dans les cafés voir son ami Guitry et épier la faune des Grands Boulevards. L'écriture lui est de plus en plus difficile même s'il a pourtant 47 pièces au compteur. Séparé de sa femme (Geneviève Rioux), l'auteur célèbre n'a plus le goût (ni l'énergie) pour les conquêtes. De plus, son fils (Jonathan Michaud), banquier constipé et hypocondriaque, lui fait honte.

Est-ce ainsi que les princes vivent?

Du grand Zouvi!

Dans la peau de Feydeau, Alain Zouvi livre l'une des meilleures performances de sa carrière! L'acteur puise à la fois dans le drame et le vaudeville pour créer un parfait Feydeau! Zouvi s'affiche sans gêne dans des tenues légères qui ne l'avantagent pas. Il défie la loi de la gravité et monte sur les meubles puis saute dans le lit, comme un enfant qui joue dans son parc.

Malgré l'alcool et les nuits folles, Feydeau persistait à croire que la jeunesse et l'art gagnent toujours. Il frappera bien sûr un mur. Plus la représentation avance, plus on sent Zouvi soulever son masque comique pour nous montrer la vulnérabilité, la faille de Feydeau.

Dans le rôle du fils, Jonathan Michaud est hilarant! Son jeu, très physique et rythmé, est au diapason des grands numéros de vaudeville. Il est secondé par un suave Gabriel Sabourin qui incarne un auteur de tragédie sans argent qui accepte d'être le secrétaire de Feydeau. Hélène Mercier, Fréderic Desager et Marie-Pier Labrecque complètent cette merveilleuse distribution.

On nous dit qu'Alain Zouvi joue son dernier rôle au théâtre! L'acteur veut se concentrer sur le doublage et la mise en scène. Dommage. Si tel est le cas, le comédien peut se dire que quelque part au paradis, ses parents (Jacques Zouvi et Amulette Garneau, qui ont aussi fait ce métier) regardent fièrement leur fils se démener avec génie sur la scène du Rideau Vert.

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Au Théâtre du Rideau Vert jusqu'au 11 octobre