Brigitte Haentjens et Anne-Marie Cadieux se retrouvent avec plaisir pour la production de Molly Bloom, monologue théâtral tiré du roman Ulysse de James Joyce. Leur Molly est une femme libre, du moins dans sa tête. Ce monologue intérieur, traduit par Jean-Marc Dalpé, parle de tout, de sexe beaucoup, sans morale, en toute franchise. Un texte libérateur!

Vous travaillez avec la scénographe Anick La Bissonnière depuis 15 ans et c'est votre 12e projet avec Anne-Marie Cadieux. Vous aimez être en famille?

Brigitte Haentjens: Je suis fidèle. Après 15 ans, je ne sais pas comment je ferais pour retrouver un dialogue aussi naturel avec quelqu'un. La création, c'est surtout ne jamais freiner l'autre, laisser ça vivre, dire oui à l'autre. Mais c'est comme un nouvel amant, ça prend du temps avant de s'éclater.

Anne-Marie Cadieux: Le processus de l'acteur est similaire. On travaille longtemps autour de la table. On fait et refait le texte. Tout à coup, ça jaillit. Molly Bloom, c'est le corps d'une femme qui éclot.

Est-ce qu'on l'aborde avec des idées très arrêtées?

Anne-Marie Cadieux: Non, c'est impossible. C'est tellement foisonnant, si riche comme texte. C'était impossible de savoir ce que j'allais faire. Je devais me livrer à Brigitte et au texte. Quand Brigitte m'a approchée, c'était un grand défi. J'ai dit oui comme Molly. C'est le moteur de sa vie.

C'est un personnage différent de ce que vous aviez déjà fait ensemble?

Brigitte Haentjens: Quand tu as souvent travaillé avec un acteur, tu veux lui apporter quelque chose de nouveau. Avec Anne-Marie, on a travaillé des personnages féminins difficiles, déchirés, qui étaient dans la douleur. Là, ce n'est pas le cas.

Anne-Marie Cadieux: C'est un personnage qui n'a pas de culpabilité, pas de complexe, qui exprime les choses telles qu'elles sont. C'est une ode à la vie jusqu'à un certain point. Elle est consciente de son aliénation, mais elle la prend avec un grain de sel.

On ne trouve pas de colère ou un certain ras-le-bol chez Molly?

Anne-Marie Cadieux: Pas du tout. Au contraire, elle commet l'adultère, mais ne se sent pas coupable. Elle regarde son mari, se demande si lui aussi la trompe et ça l'excite.

Brigitte Haentjens: Elle est fantasque. Il y a une forme de légèreté chez elle, mais dans le bon sens du mot. Il y a tellement de personnages féminins qui expriment le dégoût du sexe et de la rancune par rapport à leur condition. Mais ce n'est vraiment pas son cas. C'est un personnage de femme libre, super libre. Je n'ai jamais entendu un texte pareil sur une scène.»

Anne-Marie Cadieux: Ça se voit que le texte a été écrit par un homme. Donc, c'est un fantasme. Mais c'est une vraie femme incarnée. Elle parle de tout: ses menstruations, son allaitement, son désir, la sexualité, les organes génitaux... La beauté du texte, c'est qu'il navigue entre le quotidien et la poésie. C'est comme une partition musicale. L'intérêt, d'après moi, c'est qu'il montre comment Molly réfléchit, comment elle passe d'une chose à l'autre très rapidement. C'est un train qui part et n'arrête jamais.»

Est-ce que ce texte écrit par un homme est tout à fait crédible à vos yeux de femmes?

Brigitte Haentjens: Totalement. C'est immense, Joyce. Dans Ulysse, il se met dans la tête de plusieurs autres personnages. Bien sûr, c'est un regard d'homme, mais ça ne veut pas dire qu'il n'est pas crédible.

Anne-Marie Cadieux: J'ai entendu une traductrice française dire qu'elle se sentait dans le corps de Molly Bloom en traduisant. Elle se trouvait dans la respiration du personnage, comme habitée par elle. Les grands écrivains, parfois, se mettent dans la peau d'une femme.

Si Molly Bloom est en partie un fantasme de Joyce, fait-elle fantasmer aussi?

Anne-Marie Cadieux: Elle n'est pas dans la séduction. Elle parle autant de son ménage que du fait qu'elle a allaité, qu'elle n'a pas d'argent. C'est une femme entière.

Brigitte Haentjens: Je pense que les hommes seront tout de même ravis de voir un tel personnage.

Anne-Marie Cadieux: Ce n'est pas un portrait de séductrice. Ce texte est une ode à la vie, à la nature, à la mère. Le jouer me ramène à des sentiments très forts que j'avais quand j'étais enfant.

Mais ça doit être particulièrement exigeant comme rôle?

Anne-Marie Cadieux: J'ai relevé quelques défis au théâtre, mais là, je suis seule. Je n'ai pas de répit. J'ai hâte de monter sur scène, même si j'ai peur. Mais vaut mieux mourir de peur que mourir d'ennui. C'est un texte libre. C'est ce que j'essaie de rendre, ce vent de liberté qui souffle dans la tête de Molly Bloom.

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À Espace GO du 6 au 31 mai.

Extrait du texte

«C'est un miracle que je ne sois pas déjà ratatinée avant mon temps. À force de vivre avec lui tout sec tout froid qui m'embrasse jamais. Sauf en dormant au milieu de la nuit quand il se met à me caresser le mauvais bout. La plupart du temps sans même savoir c'est à qui le bout.

«Un homme qui passe son temps à embrasser les fesses d'une femme mérite que je l'assomme avec mon chapeau.»