Le titre est très beau et long: En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s'arrête pas. C'est un texte percutant, à la fois cru et poétique, signé Steve Gagnon. Et c'est la création québécoise la plus intense que l'on ait vue depuis des lustres.

L'auteur s'est inspiré de Britannicus (les protagonistes conservent les mêmes noms que ceux de la tragédie de Racine) pour aborder le choc amoureux à une époque - la nôtre, hélas - où « l'amour est la dernière civilisation qui reste.» Or, avant de pouvoir aimer, il faudra tuer le monstre en nous. Et détruire les êtres autour de nous...

Néron (Renaud Lacelle-Bourdon, qui livre une grandiose performance d'acteur, on y reviendra) est un jeune homme avec une immense soif de beauté, de sublime et d'absolu. Malheureusement, à ses yeux, le monde est trop petit; il étouffe dans sa maison, sa famille, son couple... Au contraire, son jeune frère Britannicus (Guillaume Perreault, plein de fougue et de passion) est plus beau que lui, plus heureux aussi, à la fois comblé dans sa vie, son couple et sa sexualité (la sexualité est omniprésente dans la pièce). Alors, Néron va devenir un monstre.

La chute du monstre

Britannicus dépeint la fabrication d'un monstre et les dommages que Néron fait subir à sa famille et à son empire. En dessous de nos corps... adapte la tragédie dans une banlieue montréalaise, au sein d'une famille monoparentale et matriarcale (la mère, Agrippine, est aussi un personnage clé et fort dans la Rome antique que dans le Québec de 2013). Toutefois, Steve Gagnon détourne la tragédie et en change la fin. Néron, après avoir «embrassé son rival, pour l'étouffer», va se ranger aux côtés de sa femme, la déterminée Octavie, jusqu'à devenir l'ombre de lui-même. Au lieu de la folie, le Néron de Gagnon sombre dans la léthargie!

À notre avis, la dernière scène de la pièce est de trop: elle contredit tout ce qui précède. Néron est dompté par les deux femmes de sa vie: Octavie et Agrippine restent debout face à la folie meurtrière, afin de faire jaillir la noblesse des sentiments.

Malgré cette réserve, cette pièce est une oeuvre à part. Steve Gagnon a du talent à revendre. Ce jeune auteur arrive à marier, avec sa prose, la laideur et la beauté, la violence et la poésie, le banal et le sublime. C'est une voix unique de notre dramaturgie. Gagnon signe aussi la mise en scène, avec une griffe très charnelle, organique, voire brutale (on vous laisse la surprise du décor).

L'autre raison d'aller toutes affaires cessantes à La Licorne, c'est la distribution pratiquement sans fausses notes: Marie-Josée Bastien est très solide dans le rôle de la mère; Marie Soleil Dion est une émouvante Junie; Guillaume Perreault, un vibrant et sensuel Britannicus; Claudiane Ruelland est assez juste dans le rôle d'Octavie.

Or, Renaud Lacelle-Bourdon est le plus impressionnant de l'affiche. À l'instar de Néron, l'acteur veut toucher au sublime... Et il y parvient! Par moments, les mots qui sortent de la bouche du comédien se déposent directement dans notre imaginaire; pour aller rejoindre, dans l'éternité, ceux des autres grandes performances au théâtre. C'est la consécration d'un jeune acteur!

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Jusqu'au 9 novembre, au Théâtre La Licorne.