De plus en plus de dramaturges québécois sont traduits et joués à l'étranger. Il y a bien sûr les habitués des circuits internationaux comme Michel Marc Bouchard, Carole Fréchette, Daniel Danis et Wajdi Mouawad. Mais il y a une nouvelle génération d'auteurs qui leur emboîte le pas et qui s'impose dans de nombreux pays. Tout particulièrement en Allemagne.

Tout commence par la traduction des oeuvres des dramaturges. À partir de ce moment-là, tout devient possible. Résidences, lectures publiques, festivals. Grâce à leurs agents, mais aussi au travail du Centre des auteurs dramatiques (CEAD) et à celui des attachés culturels québécois, leurs noms et leurs textes circulent jusqu'à ce qu'ils soient produits.

Ce nouvel élan, Jessie Mill, conseillère aux projets internationaux du CEAD, l'explique entre autres par l'ouverture et la mobilité de nos auteurs.

«Nos dramaturges n'ont pas peur de sortir de leur zone de confort, dit-elle. Étienne Lepage a créé une pièce avec le chorégraphe Frédérick Gravel; Sarah Berthiaume s'est associée à Dave St-Pierre; David Paquet avec la marionnettiste Karine Sauvé. Ils sont extrêmement innovants. En plus, ils sont mobiles dans leurs déplacements, ils voyagent, ils font des résidences d'écriture, ils finissent par se faire des contacts.»

Le travail du CEAD

Il faut bien le souligner, le travail du CEAD est au coeur de la circulation des textes québécois. Depuis une dizaine d'années que l'organisme propose des séminaires de traducteurs dans le cadre de son festival Dramaturgies en dialogue, dont la programmation est axée sur la lecture publique de nouveaux textes. C'est grâce à ces rencontres que plusieurs pièces ont été découvertes, traduites et diffusées.

«C'est comme ça que Yukonstyle, de Sarah Berthiaume, a été remarquée par un traducteur allemand, précise Jessie Mill. Il faut aussi dire que les dramaturges comme Olivier Choinière, par exemple, interrogent constamment les conventions du théâtre, poursuit-elle. Ils ont des propositions originales qui attirent l'attention des directeurs de théâtre et de festivals. Ils sont vite repérés.»

Les résidences d'écriture instaurées par le CEAD, notamment en France, sont également très fructueuses.

«Nombreux sont les jeunes auteurs québécois qui, dès qu'ils le peuvent, vont faire un tour ailleurs: en Europe et en Amérique du Sud en particulier, explique Laurent Muhleisen, conseiller littéraire et théâtral à la Comédie-Française. Ils reviennent au pays riches d'expériences nouvelles, nourris des pratiques des autres, qui viennent enrichir les leurs, ce qui leur permet de rendre compte de leur expérience de l'universel.»

L'Allemagne, paradis du théâtre

S'il y a un point commun entre les dramaturges québécois joués à l'étranger, c'est qu'ils sont tous présents en Allemagne. «L'Allemagne a un modèle de diffusion idéal, estime Jessie Mill. La structure décentralisée des institutions permet au théâtre de se déployer dans toutes les régions du pays. L'attrait pour nos auteurs, c'est qu'il existe un véritable marché pour eux là-bas. Il n'y a pas de paradis équivalent ailleurs en Europe.»

Le dramaturge Olivier Choinière abonde dans son sens. Lui aussi parle de l'Allemagne comme d'un paradis du théâtre. «Le théâtre est subventionné par l'État et les Allemands y vont comme nous, on va au hockey. Il y a aussi une politique culturelle qui soutient les théâtres. Il doit y avoir un théâtre à moins de 20 km de chaque habitant! L'offre est abondante et les pièces tournent. En Allemagne, il y a des imprésarios qui se promènent avec des textes sous le bras et qui cognent aux portes. On n'a pas ça ici.»

Le mois dernier, le Deutsches Theater de Berlin a présenté Je pense à Yu de Carole Fréchette, Incendies de Wajdi Mouawad, ainsi qu'une lecture de Yukonstyle de Sarah Berthiaume. Une programmation à laquelle s'est ajoutée une table ronde sur la dramaturgie québécoise organisée par le Bureau du Québec à Berlin. «Avec le temps, il y a des complicités et des relations de travail qui se construisent, note Jessie Mill. Chacun se fait son petit réseau.»

«L'Allemagne est le plus grand pays de théâtre du monde, renchérit Olivier Kemeid. Chaque ville a son TNM en Allemagne. Les Allemands sont également de grands consommateurs de littérature étrangère, romans et théâtre. Et puis, indépendamment du fait que tout le monde veut être joué en Allemagne, cette circulation d'oeuvres témoigne de la grande vitalité de notre théâtre, dit-il. Ce que je déplore, c'est la grande difficulté de faire circuler nos pièces ailleurs au Canada, et même au Québec.»

La force de la fable

Mais à quoi s'intéressent tant les créateurs étrangers? «Il y a chez les auteurs québécois un attachement au texte comme matière théâtrale, et non juste comme une parole ou un discours, avance Olivier Choinière. Paul Lefebvre, conseiller dramaturgique au CEAD, croit aussi que c'est la forme théâtrale, plus proche de la fable et du théâtre narratif, qui séduit les metteurs en scène étrangers.

Il reste que les Français, par exemple, ont une dramaturgie contemporaine florissante. Pourquoi la France s'intéresse-t-elle au Québec? «La dramaturgie française est riche et variée, mais le rapport que nous avons à la culture, en France, a toujours été de l'ordre du dialogue avec d'autres cultures, répond Laurent Muhleisen. Pus de 40% de ce qui se publie en France est traduit, alors que ce chiffre atteint péniblement 5% en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, par exemple.

«Ce qui nous séduit en ce moment dans les écritures québécoises, poursuit l'homme de théâtre français, c'est la manière dont elles convoquent des personnages et des histoires concrets - de la matière à jeu concrète pour des acteurs - à l'intérieur d'une liberté formelle toujours plus grande, et d'une grande inventivité de la langue. Une langue qui sait être extrêmement imagée tout en étant concise. La dynamique et parfois même la rage de leurs textes sont étonnantes.»

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Sarah Berthiaume

SARAH BERTHIAUME

Sa pièce Yukonstyle, qui sera présentée au Théâtre d'Aujourd'hui ce printemps, a déjà été traduite en allemand et lue au Deutsches Theater de Berlin au mois de janvier dernier. Une production allemande devrait également voir le jour. Au mois de mars, Yukonstyle sera jouée au Théâtre de la Colline à Paris. Des créations de cette pièce sont également prévues en Autriche et en Belgique.

ÉTIENNE LEPAGE

Sa pièce Rouge gueule, qui sera jouée en anglais à New York ce mois-ci, a été traduite en allemand. Autre cas intéressant, L'enclos de l'éléphant, créée au FTA il y a deux ans, a été traduite en grec et présentée au mois de novembre dernier à Athènes. La pièce mise en scène par Sylvain Bélanger sera adaptée en Russie ce printemps. Étienne Lepage a aussi créé, l'an dernier en Belgique, la pièce Histoires pour faire des cauchemars.

OLIVIER CHOINIÈRE

Tout a commencé par la présentation de la pièce Félicité au Royal Court de Londres, en 2008. De l'aveu de l'auteur, tout a déboulé à partir de ce moment-là. La pièce a ensuite été jouée en Écosse, en Suisse allemande et en Australie. Félicité vient d'ailleurs d'être créée au Théâtre Tarmac de Paris. Quant à Nom de domaine, créée à Montréal l'automne dernier, la pièce a été lue au festival Primeurs de Sarrebuck, en Allemagne, avant d'être adaptée pour la radio.

MARTIN BELLEMARE

L'auteur du Chant de Georges Boivin, qui a remporté le prix Gratien-Gélinas en 2010, a fait une lecture publique de sa pièce au Théâtre de la Huchette Paris et au Théâtre de la Tête noire. L'an dernier, sa pièce La liberté a été mise en lecture à Lyon et sera lue en Belgique (à Anvers) ce printemps. Un château sur le dos, sa plus récente pièce, a été traduite en allemand et présentée au festival Primeurs de Sarrebuck. Il a fait une résidence d'écriture de quelques mois l'an dernier au Théâtre de l'Aquarium à Paris.

DAVID PAQUET

David Paquet, qui a reçu le prix du gouverneur général et le prix Michel-Tremblay pour sa pièce Porc-épic, a créée sa pièce 2h14 (présentée à la Maison Théâtre le mois dernier) pour la radio allemande, à Sarrebruck, en Allemagne. La pièce sera également créée en France ce printemps et au Mexique durant la saison 2013-2014.

OLIVIER KEMEID

Moi, dans les ruines rouges du siècle, inspirée du récit de vie de Sasha Samar, qui fait aussi partie de la distribution, a été traduite en russe. La pièce sera aussi présentée en Belgique. Le dramaturge travaille également à la création d'une autre pièce, Celles d'en haut, qui sera présentée dans un petit théâtre francophone d'Atlanta, aux États-Unis: Le Théâtre du rêve. Sa pièce L'Énéide, d'après Virgile, devrait être présentée à New York dans un théâtre off Broadway la saison prochaine. Kemeid a également adapté la pièce Oedipe roi pour le Théâtre royal du Parc, à Bruxelles, dans une mise en scène de José Besprosvany.

Photo: Anne Gauthier, collaboration spéciale

David Paquet