David Paquet a écrit 2h14 il y a quatre ans déjà. Mais les bulletins d'information nous rappellent chaque semaine que cette pièce pour ados qui sera présentée à compter de mercredi à la Maison Théâtre est toujours cruellement d'actualité. «Malheureusement», dit le jeune auteur.

Difficile de parler de 2h14 à ceux qui ne l'ont pas vue ou lue, puisque la pièce repose sur une montée dramatique chargée et se termine sur une fin abrupte et terrible qui lui donne toute sa signification - il vaut mieux, donc, ne pas savoir la fin si vous avez l'intention d'y assister, soyez avertis. Disons pour les autres que 2h14 est une pièce chorale où on suit quatre ados et un prof de français dans leur quotidien et à l'école, jusqu'à une explosion de violence qui trouve un écho tragique dans l'actualité presque chaque semaine.

«Avant d'écrire cette pièce, je me suis demandé comment je pouvais parler de ce genre d'événement sans me sentir imposteur, et sans que ce soit reçu comme un coup de théâtre sensationnaliste, confie David Paquet. Il fallait que je sois capable de le faire avec respect, élégance et responsabilité, sinon je ne le faisais pas.»

Après une longue réflexion, David Paquet a choisi de mettre en évidence ces vies et «toutes leurs formes possibles» avant qu'elles soient fauchées. C'est pourquoi il s'attarde plus aux victimes qu'au coupable - une ombre qui plane sur la pièce. «Je préférais parler de la façon dont on peut préserver ces vies disparues. Ces jeunes, je les adore. On les voit changer, s'ouvrir, prendre des risques, aller vers l'autre. Et on ne saura jamais ce qui aurait pu naître de ces rencontres.» La finale est d'autant plus dure qu'on s'est attaché à ces jeunes, à leur folie, leur fantaisie, leur hargne. «C'est de ça que je veux qu'on se souvienne. C'est comme un requiem, un exercice de mémoire.»

Comme citoyen, David Paquet se dit «consterné et sans mots» devant ce genre d'événement, mais comme auteur, il tente de les déchiffrer et de «faire un sens avec ce qui n'en a pas». Il ne prétend ni expliquer ni changer les choses, mais ne se défile pas devant la violence qui se trouve dans la pièce. «C'est comme deux locomotives qui s'en viennent l'une vers l'autre.»

Trop dur, trop trash? Se censurer lorsqu'on s'adresse aux adolescents serait se mettre la tête dans le sable, croit-il. «Est-ce que vous savez de quoi ils parlent, ce qu'ils voient sur le Net? On peut faire un théâtre bonbon, vitaminé, aseptisé, mais les jeunes sont lucides et savent qu'on vit dans une société extrêmement violente. Ils n'en sont préservés d'aucune façon, elle est aux nouvelles tous les soirs. On peut même trouver la vidéo du crime de Magnotta sur le Net! Il ne faut pas être hypocrite non plus.»

Langage contemporain

Charge émotive et tension, mais aussi humour et fantaisie sont au coeur de la pièce mise en scène par Claude Poissant, «qui a respecté son rythme, son énergie et son esprit rock». «J'ai beaucoup travaillé sur la narration directe et la langue, pour offrir aux jeunes quelque chose d'actuel et de contemporain, sans tomber dans le mimétisme. On n'est pas dans la cour d'école.» Et avec ces quatre personnages bouillants de vie, il tend aux jeunes un miroir à peine déformant. «J'essaie de mettre en lumière des facettes de l'humain sans les embellir ni les déformer, c'est vrai. Mais il y a toujours une teinte surréaliste.»

Pièce gagnante du concours Le théâtre jeune public et la relève en 2009, 2h14 n'a été présentée que quelques fois au Québec en 2010. «C'est cette année qu'elle arrive vraiment sur scène», dit David Paquet, qui raconte qu'elle sera aussi jouée en Allemagne, en France et au Mexique. Lauréat du prix du Gouverneur général en 2010 pour Porc-épic et nommé «Nouveau visage» en théâtre par l'équipe de La Presse la même année, on a l'impression de l'avoir moins vu depuis deux ans. «C'est vrai, j'ai été beaucoup joué à l'étranger», admet-il.

Après 2h14 à la Maison Théâtre, La Licorne présentera sa nouvelle pièce pour ados, Appels entrants illimités, montée par Benoît Vermeulen et le théâtre Le Clou. Un autre texte de lui, Le brasier, a aussi été joué en Belgique en 2012 - «Je devrais le faire circuler si je veux qu'il soit monté ici.» - et il s'attelle à l'écriture d'une nouvelle pièce pour les 6 à 8 ans.

«Mais je veux continuer à alterner entre le théâtre jeunesse et pour les adultes. De toute façon, à part la durée, est-ce que c'est vraiment différent?» Pas dans sa tête en tout cas: il estime que 2h14 n'est pas pour les 14 à 17 ans, mais bien pour 14 ans et plus. «Tout le monde peut voir cette pièce. Et les ados aiment beaucoup mon théâtre pour adultes. J'ai 34 ans, mais mon adolescence est là encore, plusieurs fois par semaine! Pour écrire pour les ados, il faut se mettre dans l'état adolescent. Comme eux, j'ai besoin de croire que j'habite dans une société de tous les possibles, et non de l'étouffement. Sinon, c'est terrible.»

2h14, à la Maison Théâtre du 30 janvier au 9 février. À partir de 14 ans.