Il joue dans trois productions théâtrales, en plus d'une quotidienne à la télévision. Deux ans après avoir triomphé en Hamlet, Benoît McGinnis demeure, à 34 ans, le jeune acteur du moment au Québec.

Depuis quelques mois, les journées de Benoît McGinnis commencent très tôt: à 6 h du matin. À l'aube, le comédien arrive sur le plateau de 30 vies, au troisième sous-sol de Radio-Canada, transformé en polyvalente par la magie de la fiction et de la productrice Fabienne Larouche.

Le décor est formé de salles de classe, d'une cafétéria, de rangées de cases et des corridors dont les murs sont tapissés de graffitis. Partout, on croise des figurants, la plupart des adolescents qui rêvent de faire le même métier que celui de l'interprète de Raphaël Chénier-Leduc, le directeur de l'École du Vieux-Havre.

Or, ce matin-là, ces jeunes figurants apprendront surtout à s'armer de patience en attendant de tourner avec leur nouvelle prof de biologie, la toujours radieuse Karine Vanasse.

«OK, ça termine la scène, lance le second réalisateur. On passe à la 24320. Allez vous changer, les boys!»

Sur ce, Benoît McGinnis passe en coup de vent dans le couloir, en direction de sa loge. Cinq minutes plus tard, l'acteur revient avec un pantalon neuf et un paletot d'hiver pour tourner sa prochaine scène. Le comédien en fera une douzaine, ce matin-là. Mais n'allez pas croire que sa journée soit terminée. Après la pause du midi, McGinnis va retrouver la troupe du Roi se meurt dans la salle de répétitions du Théâtre du Nouveau Monde.

«J'aime ce rythme-là, c'est comme un sprint, dit-il. Ça me stimule. Mais je dois me concentrer sur un projet à la fois. L'autre jour, René Richard (Cyr) me parlait de sa vision de Toothpick. Je l'ai écouté. Mais dans ma tête, je m'disais: ça peut attendre à plus tard.»

Il faut dire que son corps lui a déjà donné un avertissement de mieux gérer son stress. En 2009, l'acteur a eu une mononucléose et il a dû abandonner le rôle de Mozart, au beau milieu de la série de représentations d'Amadeus au Théâtre Jean-Duceppe.

«Mon médecin m'a obligé à arrêter. Je n'avais plus de globules rouges», dit-il. Aujourd'hui, il choisit mieux ses projets et arrive à prendre du recul.

Cet hiver, Benoit McGinnis joue dans trois pièces d'affilée. Une saison théâtrale qu'il entame mercredi prochain, avec un gros morceau du répertoire: le roi Bérenger dans le classique d'Eugène Ionesco. Ensuite, en mars, au Rideau Vert, il reprendra le touchant rôle de Normand (qu'il avait créé en 2004), dans Avec Norm, une pièce hyperréaliste signée Serge Boucher (Apparences, Aveux). En mai, l'acteur sera de retour au TNM, où il incarnera Toothpick, l'homme de main du méchant Maurice, le patron sans scrupule d'un bar du Red Light, dans le Chant de Sainte Carmen de la Main de René Richard Cyr et Daniel Bélanger, d'après la pièce de Michel Tremblay. Et tout ça en tournant 30 vies!

«Je prends ça comme un cadeau. Pour moi, c'est une belle confiance du milieu et je me sens prêt à relever le défi», dit-il, entre deux bouchées de risotto, au Café du TNM. «Ce n'est pas toujours aussi intense. Après Hamlet, je n'ai pas eu de travail pendant des mois. J'ai même été l'initiateur de la reprise d'Avec Norm. Je trouvais que la production n'avait pas été assez vue à la création. Alors, j'ai appelé Denise Filliatrault pour lui proposer de programmer la pièce. Par chance, elle m'avait bien aimé dans Hamlet (rires)!»

Une étoile filante

Depuis sa sortie de l'École nationale de théâtre, Benoît McGinnis a traversé la décennie 2000 en défendant, avec brio, de nombreux rôles au théâtre et ailleurs (voir encadré). Pourtant, il affirme se sentir «à sa place» depuis seulement quatre ans.

«Quand Murielle Dutil ou Guy Nadon se souviennent de toi dans tel rôle et te disent qu'ils t'ont aimé, ça solidifie la confiance en soi.»

Benoit McGinnis a grandi dans un milieu qui ne prédispose pas vraiment aux feux de la rampe. Maison à Laval. Mère au foyer et père contremaître à l'usine Lanctic, dans Hochelaga-Maisonneuve. Pas grand ni athlétique, il a le profil de l'adolescent timide, assez réservé. Toutefois, en cachette, l'ado fantasme de devenir un chanteur rock qui performe au Centre Bell! Même si, dans la vie, le jeune McGinnis évite de parler fort pour ne pas déranger les autres. Il découvre le jeu en regardant Avec un grand A de Janette Bertrand, une émission qui a permis à moult acteurs de se fondre dans des personnages dramatiques pour le grand public.

Déjà, le jeune homme a un feu qui brûle en lui. Après un diplôme d'études collégiales en théâtre au cégep Saint-Laurent, il est accepté, à 19 ans, à la fois au Conservatoire et à l'École nationale. «Benoît était déjà, à l'École, un acteur extraordinaire», se souvient Michelle Rossignol qui lui a enseigné à la fin des années 90. «J'ai travaillé avec lui une scène de Beauté baroque de Claude Gauvreau. Et il avait déjà une grande maturité émotive, malgré son âge. Je me demandais ce que j'allais bien lui montrer. Pour moi, c'est un talent stellaire, une étoile filante.»

«Benoît était un bon élève, talentueux, appliqué», confirme André Brassard, alors directeur du département. «Mais rien ne dépassait. Son jeu était propre, safe. Or, je sentais qu'il pouvait aller plus loin. Je lui ai dit de ne pas se censurer, de nous montrer son côté sale!»

«Cela m'a beaucoup aidé de passer par l'École nationale», confirme l'ancien élève. Son côté trop sage, straight, a été mis à l'épreuve par les Brassard, Rossignol et (Alice) Ronfard. «Ils m'ont appris à lâcher prise. Je les en remercie, car ça me sert beaucoup aujourd'hui dans ma vie et mon travail.»

L'angoisse de la mort

Créée à Paris, en 1962, Le roi se meurt est une oeuvre phare du père du Théâtre de l'Absurde. Dès le début, le public apprend par la bouche de la reine Margueritte que Bérenger 1er va mourir avant la tombée du rideau. Entre les deux, ce roi qui règne sur «un royaume plein de trous comme un immense gruyère» devra accepter son destin.

Avec son style tragicomique, Ionesco nous montre l'homme face à l'angoisse de la maladie et de la mort. La fatalité de la condition humaine. Bérenger est joué habituellement par des acteurs plus vieux que McGinnis. Peu importe, ce dernier peut tout jouer ou presque.

Dans la salle de répétitions du TNM, une couronne dorée en carton semble avoir été oubliée à côté de la maquette du décor. McGinnis répète une scène avec la première et la seconde épouse du roi, respectivement interprétées par Isabelle Vincent et Violette Chauveau, sous le regard bienveillant du metteur en scène Frédéric Dubois.

«On a fait un premier filage pour tisser les scènes les unes avec les autres. Demain, on va les (re) faire séparément afin de trouver des nuances, d'ajuster le jeu, de trouver la vérité», explique le comédien.

Dans Le roi se meurt, les six acteurs sont toujours sur la scène. Ils ont donc le luxe d'assister à toutes les répétitions et d'évoluer ensemble.»

«Je suis tellement concentré à bien dire chaque réplique, à lier les mots, que j'en oublie d'écouter parfois, poursuit McGinnis. Or, un acteur qui est centré seulement sur son texte, ça se voit tout de suite.»

De Hamlet à L'Écuyer

«Benoît est un acteur très instinctif et intuitif. Pas uniquement dans sa tête, dans son corps aussi», explique le comédien Éric Paulhus, avec qui il a partagé la scène chez Duceppe dans Frères de sang. «Contrairement à beaucoup d'acteurs, Benoît ne craint pas le jugement des autres. Ça lui permet d'essayer des choses, de prendre des risques, sans avoir peur de se tromper.»

En octobre dernier, Benoit McGinnis était invité à l'émission Belle et Bum à Télé-Québec. Il participait au segment Piano à gogo, dans lequel un acteur vient interpréter ses airs préférés. McGinnis a chanté Aznavour, Michel Sardou et Daniel Lavoie avec justesse et maîtrise. Il a impressionné l'animateur Normand Brathwaite.

«J'aime ça chanter en public et faire des émissions de variétés, explique McGinnis. Je n'ai aucun problème avec le fait de jouer Hamlet au TNM et d'aller ensuite participer à un quiz animé par Patrice L'Écuyer. Plus jeune, j'en regardais des quiz. Pour moi, ça fait partie de mon travail d'acteur. Faire de la promotion, divertir le public et l'intéresser à de grands classiques.»

Tant pis pour les puristes, ceux qui estiment que le théâtre est réservé à l'élite. Le plus grand acteur québécois de sa génération a découvert son métier dans le sous-sol de ses parents, à Laval, en regardant des dramatiques de Janette et des jeux-questionnaires à la télévision.

Le roi se meurt, du 15 janvier au 9 février, au Théâtre du Nouveau Monde.

BENOIT McGINNIS EN SIX PERSONNAGES...

Hamlet (Hamlet de Shakespeare, TNM, 2011)

Mozart (Amadeus, Duceppe, 2009)

Claude (Le vrai monde? de Michel Tremblay, Duceppe, 2007)

Jean-Sébastien (Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Radio-Canada, 2006-2008)

Néron (Britannicus, Théâtre Denise-Pelletier, 2006)

Vallier de Tilly (Les feluettes, Théâtre de la Bordée, 2004)

***

Quatre autres acteurs à suivre

Maxime Denommée

De Trick or Treat à Howie le Rookie, en passant par Cheech, cet acteur a l'habitude de faire vibrer avec ardeur chaque personnage qu'il crée sur scène. On le retrouve avec bonheur cet hiver dans la peau de l'étrange Rabe, dans la pièce Le dernier feu, de l'auteure allemande Dea Loher. L'acteur sera dirigé par le rigoureux Denis Marleau. Au Théâtre Espace GO, du 22 janvier au 16 février.

Maude Guérin

C'est un rôle qu'il lui va comme un gant! Après Pierrette dans Belles-Soeurs, la formidable Maude Guérin incarnera la chanteuse Carmen dans la nouvelle version de la pièce de Michel Tremblay, Le chant de Sainte Carmen de la Main, signée par René Richard Cyr et Daniel Bélanger. Au Théâtre du Nouveau Monde, dès le 30 avril.

Rémy Girard

Marius, tendre, coloré et immortel personnage de Marcel Pagnol confié à l'un de nos acteurs les plus chevronnés - qui se fait plus rare au théâtre depuis quelques années. Avec Marius et Fanny, Rémy Girard retrouve son éternel complice, le metteur en scène Normand Chouinard. Au Rideau Vert, du 29 janvier au 23 février.

Marie-Thérèse Fortin

Marie-Thérèse Fortin remonte sur les planches du Théâtre d'Aujourd'hui, dans une création signée Olivier Kemeid. Intitulée Furieux et désespérés, la pièce s'inspire d'un séjour en Égypte au cours duquel Kemeid a renoué avec la famille de son père, qui a fui Le Caire en 1952. Le dramaturge parle de ceux qui sont restés, malgré la révolution: sa tante Béatrice (Fortin) et la fille de celle-ci, interprétée par Émilie Bibeau. «C'est du Kemeid: il y a des choses terribles, dramatiques et de l'humour. Les personnages sont flyés», raconte l'ex-directrice de ce théâtre. Dès le 19 février. - Alexandre Vigneault

Extra Web: À voir, son passage à Belle et Bum.