Après avoir donné une voix chorale au Caligula de Camus, Marc Beaupré fait revivre le Dom Juan de Molière. Mais le séducteur impénitent sortira de son cadre littéraire pour sévir sur Twitter. Devant un public invité à gazouiller pendant la représentation. Explications.

Imaginez un peu. Dom Juan est en pleine représentation de sa pièce au Palais-Royal de Paris. Nous sommes en 1665. Durant la dernière scène, dans un moment d'ennui, son regard croise celui de la femme de Molière, Armande Béjart, qu'il décide de séduire. Se désintéressant de Molière, de sa pièce et de son rôle. Il le fera d'ailleurs savoir en postant un premier tweet...

Dom Juan séduira également la femme de Louis XIV à Versailles, avant de tuer le monarque dans un duel. Il passera aussi par un couvent, avant de partir en Nouvelle-France! Bref, comme dans Caligula (remix), Marc Beaupré s'est amusé à resituer le temps, l'espace et l'action d'une oeuvre phare du théâtre français. Une façon de surligner les traits de caractère de son antihéros, mais aussi de lui faire faire un voyage dans le temps.

«C'est un personnage intéressant, parce que comme Caligula, il va jusqu'au bout de sa liberté, même si cette liberté provoque autour de lui des injustices. Encore aujourd'hui, l'image de Dom Juan est celle du séducteur, mais c'est un personnage beaucoup moins inconstant qu'on pourrait le croire. Il a juste décidé de vivre selon ses désirs et non selon les lois divines. Même si ce sont ces lois-là qui l'anéantiront.»

Marc Beaupré fait notamment référence à une scène où Dom Juan rencontre un mendiant et lui dit: «Je te donne un louis d'or si tu blasphèmes ta religion». Mais le mendiant refuse. Et Dom Juan lui donne quand même sa pièce d'or. «C'est comme si Molière disait: "Attention! Contrairement à ce mendiant, tous les gens que Dom Juan a trahis étaient des gens qui étaient eux-mêmes inconstants, qui avaient eux aussi des choses à se reprocher"» explique Marc Beaupré.

Le côté «uncensored» de la pièce tient ainsi moins aux jeux de séduction de Dom Juan, poussés ici à l'extrême, qu'à la réaction des gens de son entourage, précise Marc Beaupré. Ceux qui s'opposent à lui vont donc appliquer les mêmes conventions que Dom Juan, en postant eux aussi des messages sur Twitter, en refaçonnant eux aussi l'histoire à leur façon. «Ils tombent tous dans le piège du donjuanisme, en étant aussi égoïstes que Dom Juan» poursuit-il.

Du récit originel, Marc Beaupré a conservé les personnages principaux. Outre Dom Juan, qu'interprètera David Giguère, on retrouvera évidemment son amoureuse cocufiée, Dona Elvire, son valet Sganarelle, ainsi que le père de Dom Juan, Dom Louis, qui lui fera des remontrances et qui l'invitera à se repentir. Ce que fera semblant de faire Dom Juan. Ce rôle-là, transformé en personnage féminin, sera interprété par Marie-France Marcotte.

Une sténographe pour tweeter

Techniquement, une sténographe professionnelle, Rachel Duston-Sauvé, accompagnera sur scène Dom Juan. C'est elle qui tweetera. Essentiellement des notes contextuelles, des didascalies, mais aussi les états d'âme de notre libertin égocentrique. Dom Juan introduit l'histoire sur un mode narratif. Les tweets apparaîtront peu à peu en direct sur le mur du fond de la scène. Les autres personnages usurperont eux aussi ce mode de communication, indique Marc Beaupré.

Chaque soir, un spectateur choisi préalablement par l'équipe de production se présentera au public et fera un premier tweet, il invitera les spectateurs à faire de même avec le mot-clic #DJXXX. Ceux qui n'assistent pas à la représentation pourraient aussi intervenir, c'est un des risques, explique Marc Beaupré. «En même temps, dit-il, si les gens se mettent à l'insulter, ce serait très donjuanesque, parce que le personnage de la pièce de Molière ignore constamment les griefs qu'on lui fait.»

L'utilisation de Twitter, pour Marc Beaupré, est une façon d'aborder la solitude du personnage de Dom Juan, «qui n'existe que par le simulacre d'un média social.»

«Même si dans mon adaptation Dom Juan séduit les filles de la Nouvelle-France et devient le père de la colonie, quand sa mère lui dit: "quelle bassesse est la vôtre", on retombe dans l'histoire de Molière. Ce que je dis aux spectateurs, c'est, je vais vous recadrer Dom Juan, mais vous verrez que ça revient au même. La complexité du mythe de Dom Juan demeure la même: un homme qui décide de bafouer les codes moraux, à la fin de la journée, ça cause des problèmes de société.»

Du 23 octobre au 10 novembre, puis du 17 au 20 décembre, au Théâtre La Chapelle.