Pour ses 50 ans, en avril dernier, Serge Denoncourt n'a pas fait de grande fête. Il s'est plutôt réfugié au chic Danieli de Venise pour, de son propre aveu, «brailler et faire pitié, façon Mort à Venise». Puis, de retour chez nous, le ressuscité a dit oui à tout. Résultat: 2012 sera l'année Denoncourt avec cinq mises en scène, dont Les belles-soeurs en Écosse, La reine garçon de Michel Marc Bouchard au TNM et Le diable rouge chez Duceppe.

L'été dernier, Serge Denoncourt prévoyait prendre de longues vacances dans sa villa en Toscane où, après 10 ans à geler, il a installé le chauffage central grâce aux droits d'auteur que lui verse le Cirque du Soleil pour le spectacle de Criss Angel à Las Vegas. Mais à la dernière minute, Juste pour rire lui a proposé la mise en scène de l'hilarante pièce Le prénom. Denoncourt a largué ses projets de vacances, même s'il doutait du potentiel commercial de cette pièce très franco-française construite autour d'un père qui a choisi Adolphe comme prénom pour son futur enfant. Denoncourt doutait pour rien. Le prénom fut le succès de l'été.

Le metteur en scène le plus speedé en ville a enchaîné avec la reprise de Pierrette et Thérèse à l'école des Saints-Anges chez Duceppe. Au lendemain de la première, la semaine passée, il s'est envolé à Édimbourg, en Écosse. Il y sera jusqu'à mardi soir, où il fera sans doute les cent pas dans les coulisses du National Theater of Scotland en kilt noir, le nec plus ultra en matière de smoking en Écosse. Autour de lui, les actrices des Guid Sisters, traduction écossaise des Belles-soeurs, n'auront pas grand-chose à faire sinon enfiler leurs robes à pois et leurs tabliers. Quant au maquillage, elles ont gracieusement accepté de s'en passer à la demande du metteur en scène. Le lendemain, Denoncourt quittera les amies écossaises de Germaine Lauzon pour Montréal et sera, le surlendemain, au TNM pour les répétitions de La reine garçon de Michel Marc Bouchard avec Céline Bonnier dans le premier rôle.

Passer d'un pays à l'autre, d'un univers et d'une culture à l'autre, n'épuise pas Serge Denoncourt. Tout le contraire. S'il n'y avait pas tous ces allers et retours entre des univers aussi différents que parallèles, si cette incessante agitation ne modulait pas sa vie, Serge Denoncourt s'ennuierait à mort.

Exubérant, flamboyant, théâtral, Denoncourt a besoin que ça bouge pour se sentir vivant. En même temps, il avoue qu'il est un faux gars de gang et un grand solitaire qui peut passer des semaines dans sa villa en Toscane dans le plus grand silence. C'est ce qu'il fera éventuellement cette année. En attendant, il court d'une répétition à une lecture, passe de Tremblay à Michel Marc Bouchard à Antoine Rault, du Québec de la grande noirceur à la Suède de la reine Christine et à la cour de Louis XIV, tout cela avec la même curiosité et le même plaisir.

«Peu importe ce que je fais, que ce soit des variétés avec Arturo Brachetti ou Eros Ramazotti, du théâtre classique, du Tremblay, du Michel Marc Bouchard ou un spectacle tzigane comme GRUBB, je cherche toujours à avoir le même fun que j'avais quand j'étais un ti-cul émerveillé qui débutait dans le milieu, il y a 30 ans. En France, la polyvalence que je pratique serait impossible. Les metteurs en scène sont cloisonnés dans des genres et peuvent difficilement en sortir. Au Québec, le fait d'être isolés dans une mer anglophone nous a poussés à être plus souples et plus créatifs. Le résultat, c'est qu'à cause de notre ouverture et de notre façon de faire, nous jouissons d'une sorte d'aura sur la scène internationale.»

Liberté d'expression

Denoncourt est fier de la société dont il est issu et trouve que nous avons tort d'avoir honte de notre passé pas toujours glorieux. «Ce qui m'intéresse avec une pièce comme Pierrette et Thérèse, c'est qu'elle n'a rien d'actuel. Elle montre les aspects gênants de notre passé duplessiste, religieux, xénophobe, mais en même temps, elle nous permet de mesurer l'incroyable chemin que nous avons parcouru. Ne pas vouloir regarder notre passé, c'est refuser une partie de notre identité.»

Dans le même souffle, Denoncourt reconnaît que, sous ses dehors évolués, la société québécoise n'est pas toujours le paradis de la liberté d'expression. «Des fois, j'ai l'impression que c'est de plus en plus difficile de dire la vérité au Québec. En tous les cas, chaque fois que j'ai énoncé certaines vérités, j'en ai payé le prix.»

Denoncourt fait référence à sa sortie à l'émission Zone libre, en 2003, sur le manque de crédibilité des grosses divas de 40 ans qui avaient le premier rôle dans Roméo et Juliette. À l'époque, Denoncourt venait de monter son quatrième opéra à Québec. Depuis, le monde de l'opéra n'a plus fait appel à ses services. «Les chanteuses ne m'ont pas pardonné et, surtout, n'ont pas compris que je parlais de casting et non d'êtres humains. Peut-être que j'ai blessé des gens.»

L'an dernier sur le plateau de Tout le monde en parle, Denoncourt s'en est pris au metteur en scène Wajdi Mouawad, à qui il reprochait son absence pendant la tourmente sur la venue de Bertrand Cantat au TNM. Il raconte qu'il a été inondé de courriels haineux et violents, tous anonymes, ce qui le révolte le plus. «Si on veut me crier des bêtises ou me menacer de mort, qu'on ait au moins le courage de le faire en son nom propre et pas en se cachant derrière un mail anonyme!», fulmine-t-il.

Depuis, Denoncourt s'est tenu loin des controverses. Pendant toute la durée de notre entretien, d'ailleurs, il restera prudent, s'abstenant de proférer des vérités trop choquantes. Mais interrogé sur Madonna, qui a confié la mise en scène de la tournée MDNA au Québécois Michel Laprise, qui est de la même génération que lui, il répondra: «Si j'ai à choisir entre Andromaque et Madonna, je choisis Andromaque sans une minute d'hésitation. Pour la liberté artistique et parce que je suis fondamentalement un gars de théâtre.»

J'ignore si Denoncourt dit vrai au sujet de Madonna. Pour ce qui est du théâtre, par contre, pas de doute: si Denoncourt n'existait pas, le théâtre l'aurait inventé.

Denoncourt en 4 temps

Naissance : 16 avril 1962, à Shawinigan

Études : Serge Denoncourt envisageait la médecine, il a choisi le théâtre. Diplômé de l'Option-Théâtre du collège Lionel-Groulx, promotion 1983.

Nombre de mises en scène au théâtre : 120 en 25 ans. Quatre Masques pour celles des Feluettes, de Je suis une mouette, des Estivants et de Don Juan. Un Molière pour le meilleur one-man-showd'Arturo Brachetti, à Paris, en 2000.

Polyvalence : En dehors du théâtre, il a travaillé avec le transformiste Arturo Brachetti, le rockeur italien Eros Ramazzotti, le magicien Criss Angel (pour le Cirque du Soleil) et les jeunes danseurs et musiciens tziganes de Belgrade pour le spectacle GRUBB

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