Pour ses 10 ans, le Théâtre de la Banquette arrière, mené par Sophie Cadieux et Éric Paulhus, propose une fable fantastique du collègue Mathieu Gosselin, Province, mise en scène par Benoît Vermeulen. Pour la première fois de sa petite histoire, les 10 membres du collectif, tous des finissants du Conservatoire de 2001, seront réunis sur scène.

Ils mènent chacun leur barque tout en réalisant, presque chaque année, des projets collectifs. Sophie Cadieux, Éric Paulhus, Sébastien Dodge, Simon Rousseau, Amélie Bonenfant, Lise Martin, Anne-Marie Levasseur, Renaud Lacelle-Bourdon et Mathieu Gosselin ne prétendent pas parler d'une seule voix. Mais ensemble, ils aiment prendre des risques.

«On ne s'est jamais fié à nos succès pour reproduire la même recette, explique Mathieu Gosselin, marquant dans la trilogie du Théâtre de la Pacotille, notamment dans La genèse de la rage. Dans Silence Radio, par exemple, on s'est mis en danger en demandant à chacun des membres de la troupe d'écrire un segment du show. Six d'entre-eux n'avaient jamais écrit, mais on l'a fait quand même, sans penser qu'on pourrait peut-être se casser la gueule. On avait envie d'aller dans cette direction, c'est tout. Même si le résultat n'a peut-être pas été à la hauteur de ce qu'on espérait.»

Des Femmes de bonne humeur de Goldoni aux Mutants, présentée l'an dernier, en passant par Autobahn de Neil La Bute, Betty à la plage de Christopher Durang et La fête sauvage, autre texte de Mathieu Gosselin, la Banquette arrière a entre autres abordé les thèmes des relations amoureuses, de la solitude, de l'individualité et de l'absence d'engagement. On a souvent dit que cette gang-là était le porte-voix de sa génération, celle des jeunes trentenaires.

«Oui, je crois que nous sommes représentatifs des préoccupations de notre génération, répond Mathieu Gosselin. Par exemple, nous sommes très conscients de notre hyperindividualité. Mais en même temps, nous sommes 10 personnes avec des préoccupations et des points de vue différents. Ce qui ne nous empêche pas de nous retrouver. Il y a un réel plaisir à défendre une parole ensemble. En fait, on est tellement différents qu'on se pousse toujours à aller plus loin. C'est aussi ça qui est intéressant.»

Fable poétique sur l'inertie

Pour cette septième production, Mathieu Gosselin a puisé dans ses souvenirs de jeunesse à Saint-Jean-sur-Richelieu, pour ancrer cette fable poétique dans un territoire menacé par les animaux et la flore, qui veulent prendre la place occupée par les humains. «C'est une pièce qui parle de notre inertie. De la perte de notre instinct de survie, du fait que nous sommes totalement dénaturés par nos faux-fuyants, nos échappatoires. Nous sommes constamment en fuite. C'est comme si la nature prenait sa revanche sur l'homme. Mais il y a plusieurs pistes ouvertes dans Province. C'est une pièce trouée dans le sens où les spectateurs pourront y voir plein de choses.»

Tous les noms de personnages, qui paraissent improbables, correspondent en fait à des vrais noms d'enfants qui ont fréquenté l'école primaire avec lui: Royal, Phédavril, Yanérick, Dannik, Kimmie, etc. «J'avais besoin d'enraciner les 10 personnages dans la réalité, même s'ils se trouvent dans une province inventée. Contrairement à mes autres pièces, je ne savais pas au départ ce que j'allais raconter. J'ai commencé par trouver mes personnages, puis les liens se sont faits naturellement entre eux. Ce sont des gens qui se connaissent, mais qui n'ont pas le même rapport face à la nature. Certains n'ont aucun contact avec elle. Au début, ils ne réalisent pas la menace qui plane sur eux.»

L'auteur et comédien dit avoir voulu créer une mythologie régionale québécoise. «Il y a des archétypes, ceux de la pitoune, du gars musclé, qui sont dans une glorification d'eux-mêmes, du gars accro aux jeux vidéo, etc. Toutes des choses superflues qui nous éloignent de l'essentiel. Je m'inclus là-dedans. Mais je me demande à quoi rêvent-ils? Quelle est leur opinion sur le monde dans lequel on vit? Est-ce qu'ils lisent les journaux? Quand je reviens dans ma région, y a encore des gens qui ne font que ça, fumer du pot et jouer à des jeux vidéo.»

La bougie d'allumage pour l'écriture de Province: sa lecture d'Hervé Bouchard, «citoyen de Jonquière». «La première scène que j'ai écrite m'a été inspirée par sa pièce-roman Parents et amis sont invités à y assister. Quand j'ai assisté à la lecture publique, j'étais survolté. J'ai tout de suite eu envie d'écrire. C'est quelqu'un qui a justement développé toute une mythologie québécoise du Saguenay, une mère prise dans une robe de bois, des soeurs qui portent le même nom, etc. C'est vraiment un auteur qui me fascine, qui ne raconte pas toujours d'histoire précise, mais qui utilise une langue-matière. Après avoir lu quelques-unes de ses pièces, j'ai commencé à inventer ma propre histoire.»

Province, du 24 avril au 12 mai, à La Licorne.