Dans le cadre du cycle italien du Théâtre de l'Opsis, la metteure en scène Luce Pelletier signe la création d'une pièce de l'auteure suisse italienne Emanuelle delle Piane. Écrite en français, dans une langue et un style magnifiques, Les enfants de la pleine lune est librement inspirée d'un fait divers sordide survenu en Autriche en 2008: un cas d'inceste d'un père, Josef Fritzl, sur sa fille qu'il a détenu durant 24 ans dans une cave insonorisée, sans fenêtre, construite sous la maison familiale; l'agressant et la violant régulièrement. Sept enfants sont nés de ces rapports incestueux. Finalement, c'est grâce à l'hospitalisation de la fille aînée que les autorités ont pu arrêter Fritzl. Or ici, l'auteure ne s'attarde pas au fil des événements: Piane s'intéresse plutôt au point de vue des victimes, qu'elle représente dans un univers fictif très symbolique.

Dès la première scène, l'auteur nous donne toute la «perspective» et la monstruosité du drame. La mère (Louise Cardinal, très juste) raconte à ses deux enfants ses souvenirs du monde extérieur: les couleurs changeantes des ciels; les formes des nuages; les parfums de l'air... Soudain, le bruit lourd de la porte qui s'ouvre, puis des pas tout aussi lourds descendant l'escalier les prévient de l'arrivée du père (Jacques L'Heureux, frappant de retenue et d'intelligence dans son interprétation).

Alors les souvenirs et les jeux d'enfants font place à la terreur et à l'obéissance. Le père, qu'ils appellent «le Vieux», demande aux enfants de répéter les tables de multiplication. Il amène «la mère» dans une pièce à part et la viole. Il faut souligner la finesse de la mise en scène de Luce Pelletier. Dans les moments de violence et de brutalité, elle a choisi l'évocation et non la description.

Grâce à une scénographie ingénieuse qui rend bien le réduit de la cave, et à une conception sonore efficace (signées respectivement par Olivier Landreville et Catherine Gadouas, deux concepteurs au talent immense), le spectateur est plongé instantanément au coeur du huis clos.

En transposant ce fait divers monstrueux, Les enfants de la pleine lune, hélas, a toujours des résonnances dans l'actualité. On pense à l'affaire Shafia, ce procès pour le meurtre de quatre femmes à Kingston. Même s'il n'est jamais question de religion ni de crime d'honneur, on voit un homme qui impose à sa femme et ses enfants sa loi et son autorité. Par la peur. Et qui refuse de céder un iota de ce pouvoir que son sexe lui aurait donné... D'ailleurs, la pièce se termine en exposant la transmission de ces gestes extrêmes d'obéissance à la force masculine, d'une génération à l'autre. Troublant.

Les enfants de la pleine lune

Une production du Théâtre de l'Opsis présentée au Théâtre Prospero, jusqu'au 19 novembre.