Notre époque se complaît dans les jugements à l'emporte-pièce. Face à ce vent dominant, les voix comme celles de David Harrower s'avèrent extrêmement précieuses. Partant d'un sujet susceptible d'enflammer les blogues d'opinions - l'amour illicite d'un homme de 40 ans et d'une jeune fille de 12 ans -, sa pièce Blackbird trouve les mots et le ton appropriés pour pousser la réflexion au-delà de la condamnation facile.

Dès années après cette nuit au cours de laquelle ils ont consommé leur amour interdit, Ray (Gabriel Arcand) et Una (Marie-Ève Pelletier) se retrouvent. Elle l'a débusqué par hasard et n'a pas résisté à l'envie de venir le confronter. Elle attaque, il veut s'esquiver. Mais chacun finit par raconter sa version des événements, tentant de trouver sa vérité en dehors de la morale imposée.

La puissance du texte du dramaturge écossais, mis en scène par Téo Spychalski, réside en effet dans cette manière habile et jamais complaisante avec laquelle il force le spectateur à constamment réévaluer le film des événements et à reconsidérer le jugement qu'il pose sur Ray et Una. David Harrower ne défend pas la faute commise par l'homme. Il ne pose pas non plus la femme comme une victime.

En osant mettre des mots sur cette zone grise, le dramaturge installe aussi une ambiguïté qui traverse toute la pièce et qui est incarnée de façon magistrale par le troublant Gabriel Arcand. L'acteur reprend ici un rôle qu'il a interprété au même endroit il y a un peu moins de trois ans. Une Marie-Ève Pelletier convaincante, quoique plus unidimensionnelle, se frotte à ce texte hachuré et sans concession.

Comparativement au Blackbird de 2009 au TNM, celui de Spychalski est globalement plus humain, charnel et subversif. Plus réussi, en somme.

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Jusqu'au 23 septembre au Théâtre Prospero.