Sophie Cadieux jouera bientôt des princesses de contes de fées décapées par Elfriede Jelinek et une enfant blessée dans HA ha!... de Réjean Ducharme. Mais son plus grand rôle, elle le campera peut-être en coulisses puisqu'elle amorce une résidence artistique de trois ans à Espace Go. De la direction artistique à petite échelle.

Quand elle repense à ses années passées au Conservatoire d'art dramatique de Montréal, Sophie Cadieux se rappelle que la lectrice vorace qu'elle est n'était jamais à court de suggestions pour ses collègues à la recherche d'une scène à travailler. «J'étais une bonne pusher de textes», s'amuse-t-elle. Encore aujourd'hui, mettre en contact des oeuvres et des créateurs demeure comme une seconde nature pour elle.

Sophie Cadieux, la comédienne, a l'habitude de répondre aux commandes. Ce qu'elle fera de nouveau cette année sous la direction des metteurs en scène Martin Faucher (Blanche-neige & La belle au bois dormant à Espace Go) ou encore Dominic Champagne (HA ha!... au TNM). Des choix, elle en fait avec La banquette arrière, compagnie de création qu'elle partage avec des amis de la promotion 2001 du Conservatoire. Or, c'est précisément pour l'inciter à oser des choix en solo que Ginette Noiseux l'a invitée à être artiste en résidence dans le théâtre qu'elle dirige.

La comédienne ne sait pas encore ce qu'elle entend faire de cette carte blanche. Habituée à parler à travers les mots des autres, elle constate toutefois que ce projet la place dans une position de vulnérabilité qui ne lui est pas familière. Elle a des envies («décloisonner le théâtre», «jouer ailleurs que dans la salle»), mais pas de réponse définitive. Se familiariser avec la direction artistique la réjouit particulièrement. «Quand je pense au futur, c'est quelque chose que je me vois bien faire», avoue la jeune trentenaire.

La littérature en action

Sophie Cadieux n'est pas tombée dans la culture quand elle était petite. Elle affirme ne pas provenir d'une famille particulièrement lettrée. Son père a toujours été «dans la viande», dit-elle, sans plus de détails. Son goût pour la lecture lui vient plutôt de sa mère. Sa passion pour le théâtre, elle la doit à une production de Caligula mise en scène par Brigitte Haentjens vue à l'adolescence au Théâtre Denise-Pelletier.

«Ce n'est pas tant que je voulais devenir comédienne, mais que je venais de trouver une manière de raconter des histoires qui venait me chercher», nuance-t-elle. Sa curiosité naturelle a pris le relais. Elle s'est mise a fréquenter les théâtres, a notamment vu des spectacles de Momentum. «Je prenais le métro et mon père venait me chercher après», raconte-t-elle.

Bien que mordue de théâtre, elle n'a pas songé à passer des auditions avant que Benoît Dagenais, professeur au Conservatoire d'art dramatique de Montréal, ne la remarque alors qu'elle donnait la réplique à son ami Patrick Drolet (La neuvaine, Les Invincibles). «On vous attend l'année prochaine, mademoiselle», lui avait-il dit. L'invitation n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Elle a tenté sa chance et a été acceptée, trop heureuse de pouvoir laisser des études littéraires qu'elle trouvait froidement analytiques.

«Ce que j'aime de la lecture, c'est cette construction intérieure du monde. Quand tu lis des mots, tu recrées l'univers qui t'est donné. En même temps, je suis une fille super active, un peu paquet de nerfs, avoue-t-elle. C'est comme si le théâtre me permettait de rendre de manière physique ce monde intérieur que j'aime construire à travers la littérature.»

Ducharme et elle

Avec celle du théâtre, la découverte de l'oeuvre de Réjean Ducharme, plus particulièrement de son roman L'avalée des avalés, a été un autre élément fondateur pour la comédienne. «Dans le fond, je suis convaincue que je suis 70% Sophie Cadieux et 30% Bérénice Einberg», lance-t-elle en riant. En quoi l'héroïne de Ducharme, en révolte totale contre le monde et en particulier contre sa mère (qu'elle surnomme «chat mort»), peut-elle ressembler à la fille pétillante d'intelligence qu'on a sous les yeux? Elle répond qu'elle aime l'idée du «nous contre le monde».

«Je n'affiche pas cet esprit de révolte, mais on dirait que je l'ai en moi en n'acceptant pas l'état du monde et en proposant de faire les choses différemment, précise-t-elle. Ma révolte c'est "faisons-le" et non "détruisons-le."» Elle renouera avec l'univers de Ducharme dès cette semaine, alors que débuteront les répétitions de HA ha!..., pièce touffue que la comédienne qualifie de «joute cruelle» et qui prendra l'affiche plus tard cet automne.

Sophie Cadieux jouera aussi, à l'hiver, dans une pièce inspirée de la trajectoire du comédien d'origine ukrainienne Sasha Samar (Moi, dans les ruines rouges du siècle), mais surtout dans Province à La Licorne. Le petit théâtre de l'avenue Papineau, qui a pris du coffre avec sa récente reconstruction, lui est particulièrement cher. Parce qu'elle y a tenu - avec succès - son premier grand rôle au théâtre (Braidie dans Cette fille-là) et parce que son fondateur, Jean-Denis Leduc, n'a pas hésité à en ouvrir les portes à La banquette arrière.

Sa bande et elle y ont trouvé la liberté, le soutien et les balises nécessaires pour créer et se développer. « On s'est beaucoup définis par rapport à ce qui se fait à La Licorne », admet-elle. Elle est contente d'en être sortie (La banquette arrière s'est notamment produite à Espace libre pendant les travaux), mais ne cache pas sa joie d'y retourner. « On a l'impression de rentrer à la maison. »