Ils sont deux dans le ring, au fond de la piscine du Bain Saint-Michel, deux Joe Louis. Le jeune Joe Louis, le plus dangereux cogneur de l'histoire de la boxe, et le vieux Joe Louis, dans son smoking d'hôte-vedette du Caesar's Palace de Las Vegas. «Tout le monde m'aime. Tout le monde veut se faire photographier avec le champion», répète le vieux boxeur à la représentante du fisc, yuppie blonde, féministe et esseulée, qui est sur son cas: Joe Louis, champion du monde entre 1937 et 1950, a gagné des millions durant sa carrière et, en 1980, il doit toujours 500 000$ à l'impôt. Dont il n'a pas la première cenne.

Voilà le drame actuel, «présent» si l'on peut dire, de Joe Louis - An American Romance, une pièce de David Sherman mise en scène par Guy Sprung, le directeur artistique d'Infinitheatre, une petite compagnie qui fait beaucoup avec peu. Jeudi dernier, à la première, le jeu des acteurs n'était pas tout à fait au point, mais, techniquement, cette pièce ambitieuse s'est déroulée sans anicroche dans un feu roulant d'interactions entre les écrans où sont projetés des films d'archives et la scène, continuellement partagée entre les deux âges du personnage central.

Le conflit «IRS contre Joseph Louis Barrow», le vrai nom du boxeur, sert ici de tremplin à l'évocation d'une multitude d'autres drames qui ont marqué la vie de Joe Louis, le premier Noir américain à accéder au statut de superstar. Du roulement d'épaules que les vrais boxeurs ne perdent jamais au discours confus causé par l'action conjuguée de la drogue et de la démence, le comédien Ardon Bess - il a été, lui, le premier diplômé noir de l'École nationale de théâtre - rend avec intelligence et mesure les traits d'un homme déchiré dont on disait qu'il n'était «pas un monstre d'intelligence».

Joe Louis a été une autre sorte de géant. Dans le ring, il a porté les espoirs du monde libre contre Max Schmelling, l'espoir plus blanc que blanc de l'Allemagne nazie d'Adolf Hitler qu'il a battu au Yankee Stadium en 1938, quelques mois avant le début de la Seconde Guerre. Une victoire saluée par l'Amérique blanche qui n'en pratiquait pas moins, dans sa propre armée, la plus honteuse des ségrégations. Joe Louis a servi de poster boy pour des campagnes de recrutement: «Nous gagnerons parce que Dieu est de notre côté»...

Racisme, guerre, sexisme sont autant de thèmes qu'aborde la pièce de Sherman, qui mène plusieurs combats de front. Tellement qu'on sent parfois l'éparpillement, malgré la performance d'Ardon Bess qui tient tout ça à bout de bras. Cary Lawrence, dans le rôle de la fonctionnaire du fisc, réussit à ne pas disparaître dans le magma et le Montréalais Danny Blanco-Hall s'en tire bien dans la peau de Jimmy Johnson, dandy arrogant et premier champion poids lourd de sa race qui aimait s'afficher avec des Blanches.

Joe Louis aussi aimait les femmes, et de toutes les couleurs: ici Lana Turner, là la magnifique Lena Horne (Jessica B. Hill). Et l'argent, Mr. Louis? «Je n'aime pas vraiment l'argent, mais ça me calme les nerfs.»

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Joe Louis - An American Romance, une production d'Infinitheatre présentée en anglais au Bain Saint-Michel jusqu'au 20 février. Info: www.infinitheatre.com.